Banaro était une île que je qualifierais d’intéressante ; excessivement intéressante, même. Dotée d’une seule ville, son caractère indépendant la rendait sujette à la belliqueuse ambition de nombreux pirates qui tentaient de venir y faire leur loi ; et c’est là que la particularité de l’île me frappait, déjà à l’époque. Les Banarois étaient des êtres braves, capables de tenir tête à n’importe quelle organisation, pirate ou non, tentant de venir y mettre les pieds à des fins grotesques. Leur île était régie par une loi que l’on pouvait considérer comme la loi du plus fort ou plutôt celle du plus habile en combat, bien qu’ici on privilégiait les duels à l’arme à feu.

Et cette dernière affirmation était la raison pour laquelle je me retrouvais à cet endroit particulièrement aride de l’île, normalement désert, si l’on oubliait les étranges créatures terrestres qui se baladaient parfois sous terre… J’espérais d’ailleurs que je ne serai pas attaqué par l’une d’elle ce jour-là, j’avais déjà une grosse proie à chasser. Cette expression était sans doute forte, surtout que la chasse était facilement une des pires activités que je pouvais pratiquer ce jour-là, ayant toujours détesté cette pratique. Mais bien équipé, bien paré à cette éventualité qui n’attendait que mon signal pour être lancé, j’étais assis les jambes croisées sur le sable de Bang-Bang Desert, impatient et le cœur plein d’appréhensions. C'était typiquement ce qu'un chasseur ressentait lorsqu'il suivait sa proie.

A l’abri des regards, j’espérais simplement que Clint et Baba Yaga ne soient pas mis au courant de notre rendez-vous clandestin ; je ne savais pas vraiment pour Ogun, mais dans mon cas, l’ancien mafieux s’était littéralement porté garant de ma tutelle, au point même de parfois se prendre pour un père de famille à mon égard et celui de Machakil. Il serait très clairement inquiet s’il était mis au courant de ce qui se tramait derrière son dos. Et pour ce qui était de la capitaine pirate… Je l’appréciais, l’admirais vraiment par ailleurs ; elle était une femme cultivée, respectueuse et bien forte en plus de cela, et si j’avais son ambition, ou n’avais pas peur de lui marcher sur les pattes, je la suivrais bien partout sur la Route de tous les périls.

— Pff…
— Hsss…

Mais force était de constater que j’étais faible. Mon enfance sur l’île d’Amazon Lily était un cadeau, en réalité, ma grande sœur me battait souvent (par amour évidemment) mais elle était clairement bien loin de la plupart des monstres que l’on trouvait sur Grand Line. J’avais eu le moyen de le constater lors des nombreux abordages subits ou effectués sur le bateau que Clint et moi squattions depuis notre éjection de l’équipage de Letizia, et c’était quelque chose que je ne pouvais pas supporter bien longtemps. Donc ma réflexion était simple : il fallait que je batte au moins une fois mon ami avant que je puisse espérer vivre seul sur cette île, défi que je n’avais jamais réussi à relever… Il me suffisait simplement de le blesser pour prouver, à moi-même et à lui, que j'étais moi aussi un survivant, et pas juste un matelot que l'on gardait sur ses pattes de peur de contrarier.

Bien évidemment, cet ami, du nom d’Ogun, était un garçon particulier également. Notre amitié, notre rivalité même était venue naturellement, dès les premiers jours de mon arrivée sur son bateau. D’abord un des premiers à comprendre ma condition, il était surtout le seul, pour le coup, à me considérer comme un égal, pas juste un enfant malgré mon âge, ou mon corps, évidemment… Sans doute en rapport avec son passé auquel il ne m’avait encore jamais parlé en détail. Dans tous les cas, la situation actuelle était sérieuse. Pour être tout à fait franc, j’aurais pu organiser ce duel en plein milieu de la ville, aux yeux de tous. J’aurais mis en scène ce combat à la manière d’un match de boxe entre deux champions de catégories différentes. J’aurais organisé des paris, surenchéri sur ma victoire, etc… Le secret de notre rencontre montrait à quel point ça me tenait à cœur ; je n’avais aucune envie que ce duel soit gâché par les spéculations malsaines des habitants de Banaro.

Mon adversaire arriva alors enfin ; pas qu’il était en retard en réalité, j’étais juste là en avance. Le stress, ou la rage de vaincre, allez savoir ! C'était la première fois que j'étais impatient de me battre, de mettre en pratique mon entraînement ; évidemment, jusqu'à présent tout ce que je souhaitais c'était m'amuser. Je n’avais que 12 ans à cette époque, après tout, j’étais loin d’avoir le vécu d’Ogun, l’expérience de Baba Yaga ou l’esprit fin de Clint. A force, on finirait même par croire que mon serpent de compagnie, qui sifflait actuellement d’appréhension, était plus mature que moi. Mais mon soupir et mon mouvement le firent se taire une bonne fois pour toute. Je me levai de ma position, m’étirai ostentatoirement :

— Hop. Hop. Hop !

Enfin, je sautillai sur place, faisant un signe de main à Machakil qui voulait dire n’interagis surtout pas sur le champ de bataille, pas aujourd’hui. Il comprenait évidemment, et se faisait petit, choisissant même de disparaître (il essayait, du moins) dans la rangée de plantes Bang Bang derrière moi, du nombre de cinq, toutes séparées d’au moins cinquante centimètres. Puis, je ne pus m’empêcher de me mettre en scène face à mon adversaire, pointa mon index vers lui, imitant la forme d’un pistolet.

— Aujourd’hui, c’est le jour où j’arriverai à te toucher, Ogun ! Tu connais les règles, si j’arrive à te blesser, tu m’autoriseras à rester ici. Kekeke, n’oublie pas surtout, tous les coups sont permis alors… Ne te retiens pas !

C’était certain que du haut de ses trois mètres, de ses muscles saillants et de son pouvoir de fruit du démon déjà surpuissant, ces mots avaient l’allure d’une déclaration de suicide : je faisais littéralement moitié moins que lui en taille, et je ne parlais même pas de poids… Néanmoins, j’avais une idée de comment me sortir de cette situation, et surtout de terminer ce combat avant qu’il ne vire en catastrophe.

— Commençons dès maintenant, que ce combat termine en feux d’artifices !

Sans plus attendre, je dégainai alors mes deux pistolets à silex accrochés aux holsters sur mes hanches, les seuls que j’avais pu me procurer moi-même avant ce combat. Je tendis complètement mon bras droit vers l’avant, tandis que je pliais l’autre de sorte à coller mon coude à ma hanche ; de cette manière, mes deux balles, de même calibre, devraient atteindre leurs cibles, l’œil gauche d'Ogun pour la balle de droite, et sa clavicule droite pour l'autre, à deux temps différents sans intervention extérieure. Mes index appuyèrent alors sur les déclencheurs au même moment, amenant alors les deux coups de feux à se confondre dans un seul son strident ; très clairement, malgré la cible qu’était Ogun, il n’allait pas se laisser faire aussi facilement, c’était pour cela que j’espérais le surprendre avec mon petit tour de passe-passe, à l’instant.

Et oui, le combat commence déjà: