Le son irrégulier de l’océan, infinitude bleutée, amère même, qui résonnait dans ma cervelle pour le moment hors-service, m’empêchait de me concentrer sur la marche à suivre. Pire encore, je ne savais même pas quoi faire, à présent. Déjà une demi-heure que j’avais fui, l’île que j’avais décidé de considérer comme mon chez-moi, quitté mon seul ami (humain) pour des raisons arbitraires. Et tandis que les vagues m’accompagnaient vers cet incertain futur dans lequel je plongeais tête la première, un seul, et même sentiment s’emparait de ma poitrine et de mon âme même, projetant de me faire souffrir l’intégralité de mon voyage :

La peur.

L’effroi, l’inquiétude qui résultait de ma situation précaire : je n’avais ni eau, ni repas. Qu’une simple barque, même, pour me permettre de me déplacer jusqu’à une prochaine île, mais laquelle ? Les cartes de Grand Line étaient toutes, à défaut d’être complètes, littéralement faussées par la particularité de ces îles aux champs magnétiques relevant du paranormal… Baba Yaga disait souvent qu’il fallait un log pose pour se déplacer à l’aveugle sur cette mer, le cas contraire… On risquait de mourir.

— Même pas peur.

Je me répétais ces mensonges éhontés, ne prêtant pas attention aux sifflements de désespoir de Machakil, longé sur la barque que j’avais volé pour m’échapper de Banaro. Puis, je lançais un dernier au revoir à l’île de mon cœur, en espérant que je puisse la retrouver un jour, ainsi que l’ami que j’y avais laissé.
 

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Une semaine. Sept jours. 168 heures, 4080 minutes, et quelques milliers de secondes… Ca faisait bien des centaines de milliers de secondes plus tôt que j’avais arrêté de compter. Où en étais-je ? J’avais faim. Très faim, c’était la première sensation qui me venait à l’esprit. La peur s’était atténuée, bien que devoir me défendre de créatures marines venues des tréfonds de l’océan ne m’enchantait guère. Au moins, ça me donnait de la viande à mâcher, crue, dégueulasse, et très certainement toxique pour mon estomac ; mais on ne pouvait pas demander au ciel de faire pleuvoir du poulet, pas vrai ? Et de toute manière, tant que je vivais, je ne pouvais pas réellement me plaindre ; je n’avais en vue aucune île sur l’horizon, mais je gardais espoir, encore un petit effort et je m’en sortirai.

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Le reflet de mon visage sur l’eau devenait une sorte de miasme moqueur, dont le sourire déformé semblait me dire, me répéter que je n’étais qu’à deux doigts de clamser ; à raison ! Je ne me nourrissais plus que d’algues, de poissons aux couleurs étranges, au point que je me sentais maintenant… Ailleurs. Je voyais le monde autour de moi dans des couleurs qui m’étaient inconnues, signes d’une ouverture d’esprit sans doute, je voyais le monde pour ce qu’il était réellement : un dégueulis de couleurs flashy dans lequel la mer n’était qu’un champ de lins, n’attendant que j’y plonge… Ce fut alors par réflexe que j'enfonçais mes deux mains dans ces plantes bleues, qui se dispersaient dans les parcelles de mes membres une fois le geste effectué. Et d’un seul coup, je buvais les fleurs, cul-sec, sans même réfléchir au goût absolument dégueulasse du sel marin entrant dans ma gorge. Si seulement mon reflet pouvait bien s’afficher à l’instant, je verrai sans doute le visage d’un homme qui grimaçait à la même manière que s’il avait bu du jus de citron sans sucre.

Mais ce champ de fleurs devenait petit à petit une sorte de vague prête à m’avaler, propulsé par un énorme bâtiment, véritable galion qui semblait pas du tout prêt de s’arrêter face à ma terrible, et pourtant oubliable existence. J’essayais de hurler à ce bâtiment qui arborait fièrement un Jolly Roger, mais autant toute cette vision ne faisant tout simplement aucun sens, autant… Le bâtiment ne s’arrêtait pas. Il continuait à me foncer dessus, jusqu’à détruire la barque où je me tenais, ainsi que mes rêves, et mes espoirs de me sortir de cette situation déjà fondamentalement sans espoir.

Dans la réalité, je me trouvais toujours sur les mers, je me trouvais toujours sur ma barque, avant de me faire percuter par ce bateau pirate qui semblait ne pas m’avoir aperçu ; le cas contraire, j’aurais clairement été abordé, pillé, tué. Mon moyen de locomotion avait été déblayé, et je me trouvais maintenant avec comme seul moyen de me déplacer sur l’eau ma guitare… Et encore. L’esprit complètement défoncé par les produits illicites que les poissons dans mon estomac me faisaient ingurgiter, je gardais la lucidité de me débrouiller de bien des façons : pour commencer, je retirai ma veste en cuir, sûrement trop lourde pour me permettre de flotter ; j’abandonnais les différentes armes à feu cachées dans mes vêtements, puis j’espérais que cela suffirait. Mais comme on le savait tous, en réalité : Grand Line est une pute.
 

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Une tempête. C’était tout ce qui manquait pour saupoudrer ce voyage catastrophique en un cauchemar dans lequel j’étais certain de ne jamais me réveiller. Finalement, je m’étais laissé emporter par les eaux déchaînées, signant mon arrêt de mort. Je ne contrôlais plus rien à ce moment, laissant mon corps m’emporter dans un dédale d’artifices dans lesquels je m’étais voué corps et âme à survivre le plus longtemps possible. D’ailleurs, tenant fermement Machakil dans les bras, je le sentais aussi paniqué que moi, pas prêt de me lâcher pour autant. C’était donc comme cela qu’on allait mourir. Pas tués par les assassins de l’Underworld, mais naufragés dans des mers quelconques de Grand Line. La honte…
 

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Le son des vagues se cognant contre le sable aigre me réveillait de mon sommeil, léger, froid, et franchement douloureux. J’avais le haut du crâne qui me lançait dangereusement, les mains ballantes le long du corps, les yeux rivés vers le soleil… Mais le plus étrange, c’était que je n’arrivais pas à bouger. Et surtout : j’avais mal. J’avais froid. Je me sentais mis à nu… Pas étonnant puisque je n’avais pas mes vêtements fétiches, à l’instant. Il était clair que si quelqu’un me voyait à l’instant, il se ferait la mauvaise idée de ma personne. Mais surtout…

— Macha… Machakil…

Je toussais entre chaque syllabe, les lèvres apparemment trop faibles pour prononcer convenablement ces mots. Mais ne pas sentir les mouvements de mon meilleur ami sous mes vêtements me rendait étrangement anxieux. Néanmoins, je le voyais ramper, derrière ma tête. Il semblait se diriger vers quelqu’un, une paire de jambes. Un être humain. J’étais sauvé, je pensais. A moins que cette personne ne soit un ennemi. Si c’était le cas, j’étais prêt à me défendre, malgré le peu d’énergie qui me restait, mon ventre qui criait famine et surtout, l’absence d’armes à feux ; seule la guitare que je tenais fermement de ma main droite me permettrait de me défendre.

— Putain… j’arrivais à prononcer entre mes dents, espérant que Machakil sache ce qu’il faisait en se dirigeant vers cet inconnu.

Les souvenirs étaient brumeux, ils n’avaient presqu’aucun sens tant ils avaient l’aspect d’un lointain rêve, ceux qu’on faisait volontiers au pic d’une maladie grave qui emportait notre conscience dans les tréfonds les plus violents de notre psyché. Je voyais flou, je voyais… Trouble ; le ciel devenait une sorte de tourbillon de nuages qui fusionnaient pour prendre des formes typiques, qui me rappelaient les meilleurs souvenirs d’Amazon Lily : Anna, la viande de serpent, épier les guerrières Claniques dans leurs bains… Mais toutes ces visions avaient une chose en commun : elles étaient éphémères. Je levais mon bras, ou du moins j’avais l’impression de le lever, essayer d’attraper cette boule de graisse insaisissable avant d’abandonner nonchalamment, après un soupir désemparé… Machakil, où es-tu ?!

Il ne suffisait visiblement que de l’appeler, je sentais son corps glisser contre le sable, à toute berzingue en plus. Quel idiot… Je tournais lentement et faiblement la tête vers le côté, m’attendant à le voir me sauter dessus et me câliner comme l’animal qu’il était, mais la surprise prit le pas sur ma joie : une paire de jambes se dirigeait également de mon côté, d’un pas funeste… Quelle horreur. Je ne savais même pas où j’étais, il était possible que je sois en territoire ennemi. Quels ennemis ? Tous ! J’essayais de me dégager de cet endroit mais rien n’y faisait, mon corps ne répondait à aucune de mes consignes. Même mes doigts étaient complètement immobiles…

Je n’avais qu’une solution alors : faire le mort ! De cette façon-là, sans doute que cette personne ne tenterait rien. Je n’étais pas primé, ni même connu pour le moment, c’était littéralement la seule raison pour laquelle cette tactique pouvait marcher… Erk. J’espérais vraiment ne plus pouvoir utiliser stratégie aussi lâche et indigne de ma personne. Mais là, à l’instant, dans cette situation précise… Je n’avais pas autre choix.

J’attendais alors, les yeux fermés, que l’invité surprise ne s’en aille ; mais force était de constater qu’il était vachement collant, ce gars-là ; il s’agissait très sûrement d’un garçon, ouais. Sa main s’était d’abord déplacée sur ma peau, ondulant sur ma main pour, je suppose, vérifier mon pouls. Déjà, faire le mort devenait compliqué… Je serrais les dents de dégoût, en plus de cela. J’avais peur, sincèrement. J’étais apeuré à l’idée de me faire toucher par un inconnu, encore plus dans cette situation où j’étais quasiment dévêtu. Dans d’autres circonstances, j’aurais déjà attrapé la main coupable de ce fouineur et lui aurait brisé le coude, si jamais. Mais, encore une fois, je n’avais aucun autre choix, à part celui de subir, en silence.

Finalement, « l’auscultation » se fit assez rapidement, à mon plus grand bonheur. Le garçon semblait satisfait de ce qu’il avait trouvé en mon pouls ; un signe de vie. Super, donc là, il m’avait juste donné de faux espoirs pour rien ? Je me sentais agressé, trompé et mis à l’écart par ce gars qui…

— Hssss ?!
— … Mmmmh…

Il avait d’abord déposé de la nourriture et des boissons devant mon visage avant de s’assoir sur le sable, apparemment convaincu de me surveiller, ou sans doute de m’attaquer lorsque je m’y attendrais le moins. Une bataille d’attrition ? Très bien. Je pouvais le faire pour des heures durant, si nécessaire. Je préparais mon mental et mon corps, sans vraiment me rendre compte que j’étais, en réalité, en train de perdre connaissance.
 

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Les courbatures liées à l’engourdissement de mes articulations me réveillaient en sursaut, témoignant ma prouesse extraordinaire d’être rétabli aussi vite que prévu ; évidemment, je n’avais pas remarqué que j’avais perdu connaissance avec le temps. D’ailleurs, mon mystérieux fanboy se trouvait toujours à côté de moi, allongé sur le côté dos à moi… Il me tournait le dos. Fatale erreur. Mon corps ne répondait pas encore comme je le voulais, mais j’arrivais à me tourner sur le ventre, et ramper jusqu’à la cible, tendant le bras vers son épaule.

— Ours. Noix de coco. Soda à l’orange. Escalope.

Je répétais ces mots continuellement, sans me rendre compte du sens ou de la signification de leur prononciation, ma cervelle comptait juste ces mots pendant que mes crocs se dirigeaient dangereusement vers cette épaule qui semblait juteuse, grasse, sanglante…

— Monch.
— Hissss !!
— Gyaaaah !!

Au moins, ce croc dans le crâne avait le mérite de réveiller mon corps et ses fonctions : d’un bond, je reculais en arrière, puis tomba à la renverse amenant le sable alentours à s’élever légèrement. Je grognais alors de douleur, me tenant l’arrière du crâne et gesticulant dans tous les sens. Donc, si j’avais bien compris, Machakil m’avait mordu assez fort pour me faire pisser le sang ! Et en plus de ça, il protégeait l’inconnu que j’avais tenté d’attaquer. Quel salaud… Il avait des explications à me faire. Ignorant complètement que je n’étais toujours vêtu que d’un débardeur et d'un pantalon, j’attrapais ma guitare qui traînait là, par terre, et la tenait par la manche, à l’aide de mes deux mains dans le but bien précis d’attaquer mon animal de compagnie préféré.

— Adios, sale enculé.

Je sentais mon sourire, je sentais ma fougue, et je n’avais qu’une envie à présent, c’était massacrer ce traître et son nouveau « meilleur ami », qui semblait mort, de la même manière qu’un hérisson sur la route.

HRP: