Il était tôt. Très tôt. Peut-être trois heures du matin. A vrai dire, Michella n’en savait rien. Cloîtrée dans son atelier, à bord du navire des Wonder, cette estimation s’était réalisée après le bref aperçu d’un horizon nocturne derrière son hublot. En la regardant, il était facile de comprendre qu’elle n’avait pas dormi. Sa fatigue était criante et paraissait à deux doigts de la retamer. S’abandonner aux bras de Morphée n’étant cela dit, pas encore d’actualité, elle reprit une longue gorgée de thé, puis respira tel un buffle déterminé à empaler sa cible. En quelques secondes, sa mine avait retrouvé une certaine flamboyance. De nouveau d’aplomb, elle était reboostée pour continuer le long déchiffrement du casse-tête se tenant elle. Ses yeux certes cernés, fixèrent gravement cette infranchissable énigme, posée sur une table en amont de sa personne. Au-dessus de livres et paperasses gribouillés, l’objet qui lui faisait tant de résistance semblait presque la narguer…

« Ce n’est définitivement pas au point pour l’instant… » soufflota—t-elle gravement.

Ce prototype qu’elle avait pris la soirée à façonner n’était pas encore au point. Teaglider était l’appellation qu’elle lui avait donnée. Planeur censée lui permettre d’assurer des atterrissages tranquilles en cas de projections violentes, la mobilité que pouvait lui offrir cet appareil une fois finalisée, l’avait convaincu d’en faire une réalité. Avoir été jeté dans le vide par Seth à Whiskey Peak avait juste accéléré ce processus. Malheureusement, en faire un produit final était plus complexe que prévu. En soi, construire un planeur motorisé avec du thé ne lui avait pas pris tant de temps que ça. En quelques heures, elle avait même fini de façonner sa bête. Il faut dire qu’elle avait réussi à se faire rapidement une idée concrète de son prototype. Par exemple, le tissu pour la voile de Teaglider n’avait pas été l’objet d’un long débat intérieur. Fort d’une réflexion efficace, elle s’était basée sur un écrit lu pendant sa jeunesse. Nommée ‘’Le navire parfait’’ par son auteur, ce dernier avait su justifier pourquoi une voile de navire possédait les qualités requises pour capter le vent et faire office de planeur. Les détails allèrent même jusqu’à lui détailler quel tissu était le plus adapté pour ce genre d’ouvrages. Une autre étude sur la migration animalière expliquait quant à elle, comment certaines espèces utilisaient le vol plané pour migrer. La scientifique y comprit notamment que la masse séparant la voilure du reste (et cela impliquait le guidon, le moteur et le passager à transporter) était capitale.

Un test ne cochait pas les critères de réussite et il s’agissait du plus délicat à rectifier. En effet, la masse du guidon et sa plateforme était bien trop importante par rapport à la voile choisie. Compte tenu du temps qui avait été passé à confirmer le tissu de la voile, il lui parut évident que le guidon et la plateforme servant de rangement à la voile, au canon et au moteur à thé) était bien trop lourd. Pour remédier à ce problème, elle opta pour une solution simple : reconstruire un guidon et la plateforme avec des matériaux plus léger. Pour s’assurer d’obtenir une masse idéale, la tireuse était également arrivée à la conclusion qu’en utilisant des vis plus légères, mais plus nombreuses, elle pourrait atteindre ces stricts chiffres tant rêvés. N’ayant pas des ressources illimitées, elle prit donc le temps qu’il fallut pour choisir les matières répondant à ses critères de solidité et de légèreté. Plus d’une heure fut ensuite nécessairement pour tout refaçonner intégralement, gâchettes incluses. Rendre le moteur à thé minimaliste, mais puissant était une thématique qu’elle avait réglé plus tôt dans la nuit et elle estima ne pas pouvoir réduire davantage ses dimensions. Pour le reste, le relier à la gâchette droite fût un jeu d’enfant pour elle. S’assurer que les discrets cordages déploie et range rapidement la voile d’un coup de pression de la gâchette gauche ne prit pas plus de temps non plus.

« On dirait que la masse de l’appareil est enfin en adéquation avec les valeurs attendues… » se satisfit-t-elle avec une face pourtant dure et peu joyeuse.

Il ne restait plus qu’à essayer la bête et pour ce faire, elle fût contrainte de délaisser quelques temps son atelier. Même asociale fana de sciences, Michella savait qu’un test grandeur nature donnait plus de réponses que n’importe quelle série de formules abstraites. Néanmoins son penchant pour la réflexion la poussait à développer un strict processus de validation théorique avant de s’essayer au moindre essai réel. A ce moment, il allait évidemment s’agir du premier essai de Teaglider et d’après ses calculs, il n’était pas censé y avoir d’accroc. Sur le chemin menant au pont du navire, la scientifique n’esquissa aucune peur, malgré les risques qu’elle encourait si le bébé accroché à son dos venait à être défectueux. Car oui, bien trop distante vis-à-vis des membres de l’équipage et au vu de l’heure tardive noircissant le ciel, elle était bien obligée d’être celle testant l’appareil. Les yeux rivés en l’air, elle savait déjà d’où effectuer cet essai potentiellement symbolique : le poste de vigie. De cette hauteur qu’elle atteignit donc grâce à l’échelle, une pleine vision d’un océan bleu s’étendant à perte de vue lui rappela qu’elle n’était toujours qu’un grain de sable dans ce monde si vaste. Se faire reconnaître par l’illustre Reine mère passait inévitablement par la finalisation de Teaglider : l’envol.

Elle n’hésita guère longtemps avant de se lancer. Même en sachant que cette chute pouvait lui être fatale, la tireuse franchit le pas et sauta hors du poste de vigie. La descente se faisait brutale et promettait une vilaine blessure en cas d’échec. Suivant le scénario qu’elle avait maintes retravaillé, la scientifique pressa alors la première gâchette du Teaglider, encore rangée dans son dos. Et comme elle l’avait imaginé, la voile se déploya hors de la plateforme et cette dernière glissa au-dessus de sa tête pour que ses mains puissent attraper le guidon. La chute était ralentie, presque annihilée. Balancée par de faibles vents, elle se faisait légèrement balancer par ses bises inattendues lui confirmant que le climat pouvait avoir un impact important sur son utilisation. Il n’y avait que du bon à retirer de cet implacable constat. Ainsi caressé par le vent, la parachutiste oublia presque que la gâchette permettant d’assurer la propulsion de l’appareil en l’air n’avait toujours pas été pressée. Sa rigueur retrouvée, l’utilisation de cette deuxième gâchette déclencha alors une propulsion dans la direction indiquée par le guidon. Ce résultat était à la hauteur de ses attentes, mais elle émit quelques déceptions sur un ton agacé…

« Cette propulsion manque clairement de punch… »

Être en mesure d'augmenter la force de propulsion de ce moteur était désormais une problématique qui trottait dans son esprit, tout comme le moyen de recharger le plus simplement possible, ce moteur à thé, plus gourmant que celui du Teapot. D’autres points lui paraissant évidents pouvaient encore être fixés ou perfectionnés. Mais pour l’heure, elle se gratifia de cette lente et longue chute devant les prémices d’un soleil levant, en guise de pause bien mérité.