Les quartiers commerçants brillent, autant éclairé par la lumière du soleil que par l’éclat avide des sourires de marchand. L’ambiance nocturne et animée ayant laissé place à la vie fourmillante d’une ville touristique aux milles denrées, là où tout le monde trouvait ce qu’il désirait et même ce qu’il ne désirait pas encore. Du moins, c’est ce que prétendait la rumeur populaire. Siam se devait d’y apporter une nuance pour le peu importante : Tout était possible, pour peu qu’on y mette un prix convenable.  Enfin, convenable… Pour le commerçant.

La rue où se trouvait la jeune femme était remplie d’odeurs aussi diverses et variées que les étalages eux-mêmes, allant de la simple nourriture à de prétendus armes de maitre. Elle n’avait que peu examiné la première et renoncé à la seconde par manque d’expertise pour se tourner pleinement vers sa passion de toujours : les livres.

Trainant un moment, elle avait fini par jeter son dévolu sur la plus miteuse des librairies qu’elle avait pu trouver et c’était emparé de plusieurs reliure sur l’histoire des hommes poissons et de quelques contes sur les géants pour cacher la plus importante de ses trouvailles. Le livre, épais et mal conservé, ne lui avait couté qu’une bouchée de pain mais les dessins d’espèces qu’ils renfermaient, eux, trouvaient toute leur valeur aux yeux de Siam, tout comme les rumeurs que connaissait le propriétaire, trop ravie d’avoir une cliente dans sa boutique trop souvent vide. Ces emplettes faites, la jeune femme n’avait plus qu’à retourner sur le bateau patienter jusqu’à la nuit et, peut-être, espérer vérifier la rumeur des mouvements de Xoth ou encore en savoir plus sur la découverte de ce soit disant nouveau ponéglyphe quelque part dans la zone de Star Top Nation.

Satisfaite de sa pêche, elle avait renouvelé l’expérience dans d’autre boutique peu fréquentée mais n’en avait tiré que peu d’information supplémentaire et aucun ouvrage digne de son intérêt. A l’aube de la fin d’après-midi, elle décide enfin de rebrousser chemin pour ranger ses trouvailles, juste histoire d’être tranquille si l’aventure de la chasse à l’information devait se compliquer plus que nécessaire.
Ce n’est, donc, qu’en repartant qu’elle vit l’étrange bicoque à la sortie de ville.

La surprise arrête la jeune femme qui prend le temps de considérer la boutique d’un œil interrogateur. Elle était persuadée de ne pas l’avoir croisée en venant et pourtant elle se tenait là, fièrement dressée. Un instant, Siam considéra l’idée d’une boutique magique qui n’apparaissait qu’à certain acheteur, comme elle avait pu le lire, et se mit à sourire d’amusement. Même si les fruits du démon avaient quelque chose de féérique en soi, la magie n’existait pas. Pas plus que les boutiques qui apparaisse et disparaisse. Secouant la tête, elle observe les alentours puis hausse les épaules pour elle-même.
Peut-être que cet oubli venait de la localisation proche de la librairie, même si la brunette en doutait fortement :  Avec son design alambiqué, ses couleurs vives et ses canons, il était, pour ainsi dire, plutôt difficile de la rater. Pourquoi une boutique aurait-elle besoin de canon, d’ailleurs ? Intriguée, Siam s’avance vers la devanture colorée et s’engage sur la petite estrade de bois vert clair.

Ses lectures fraichement achetées serrées contre elle, la jeune femme pousse la porte de la boutique et en fait chanter le carillon. Haussant un sourcil dubitatif sur la musique de ce dernier, l’ancienne esclave laisse son regard partir à la découverte de l’intérieur en bois et de son impressionnant étalage de confiserie. Il règne dans la boutique une ambiance chaleureuse, encore plus renforcée par l’aspect enfantin que lui donne ses produits. Explosion de couleur à droite, odeur sucrées de l’autre, tout dans la décoration semble avoir été agencé pour en faire un monde de conte et un paradis pour chérubins perdus.

Curieuse, Siam se promène entre les présentoirs, savourant les nouvelles odeurs des fruits confits et du caramel qu’elle ne connaissait que vaguement jusqu’à présent. Posant les reliures sur un petit bout d’étalage, elle saisit une sucette pour la faire tourner entre ses doigts. La boule de sucre brille comme un bijou sur son support, ce qui pousse Siam à se perdre en spéculation.
Comment fait-on pour que les couleurs soient vives ? Elle se rappelait avoir lu quelque part que le sucre était mauvais pour la santé. Pourquoi les enfants en raffolent ? Pas que les enfants, d’ailleurs, se ravise-t-elle en pensant à Lucer. Peut-être devrait-elle en prendre quelques un pour lui ramener non ? Mieux, et si elle en prenait un peu plus pour Gwaine aussi ? Et Kirie, est-ce qu’elle aimait ça ? La jeune femme pose la friandise puis se perd dans la contemplation d’une autre. La façon dont est faite celle-ci, fine et transparente, lui rappelle le travail du verre. Est-ce que le sucre se souffle comme ça pour en faire une sphère ?

Plongée dans ses pensées à imaginer le procédé de fabrication, elle manque de tout échapper lorsque le propriétaire finit par venir observer sa cliente de plus près. Levant ses prunelles claires, elle dévisage l’homme qui la surplombe avec un mélange de surprise et d’incompréhension. Ses yeux passent de la confiserie dans sa main à celui qui la toise une fois, deux fois. La troisième fois, la jeune femme se fait la réflexion, déçue, que les boutiques de confiserie n’ont rien de celles dans les contes de fées même si son interlocuteur en a le code couleur. Inspirant profondément, elle avise du sourire qu’on lui offre et choisit d’y répondre en fouillant dans les livres à la recherche du morceau de papier qui lui permet de parler. Tirant un crayon de sa chevelure, elle griffonne rapidement puis lui tend son moyen de communication après une brève révérence.

Qu’est-ce que vous avez, comme variété de sucette un peu originale ? C’est pour de grands enfants.

Perplexe, Siam hausse un sourcil devant l’homme qui la domine de toute sa hauteur. Il était à l’image de sa boutique : haut en couleur. Il n’avait suffi que d’une question pour que le confiseur entame de la recouvrir de sucrerie et de parole. Confuse, elle n’eut ni le temps de protester ni de continuer à lui écrire, tant elle était dépassée par le nombre et la rapidité avec laquelle le commerçant déballe son speech. A peine la jeune femme réussissait à reposer quelques une des sucettes que déjà il lui en donnait de nouvelles à observer et, quand bien même voir quelqu’un d’aussi passionné était appréciable, user de sa voix pour l’arrêter dans sa course n’était pas envisageable.

Essayant de ranger les bonbons à la même vitesse que le roux le lui donnait, elle finit par se dégager une toute petite fenêtre pour griffonner sur son papier. Ni une ni deux, elle le colle sous le visage de son interlocuteur, une expression penaude sur le visage.

Je ne sais pas. Je n’en ai jamais mangé. Nouvelle pause de griffonnage. Vous êtes là depuis longtemps ? Je n’avais pas vu la boutique, ce matin en arrivant.

Cette fois ci, quand elle relève la tête, le clown de sucre a disparu. Les sourcils froncés, Siam le cherche du regard. Elle a vaguement entendu le bruit si caractéristique des explosions mais n’a que peu cherché à s’y intéresser. Parfois, il était plus sûr de faire comme si de rien était, surtout pour faire profil bas au milieu de la foule. Tranquillement, elle rejoint le propriétaire de la drôle de boutique et jette un œil peu convaincu à l’extérieur. L’odeur âcre de poudre lui envahit les narines, la faisant grimacer et elle griffonne de nouveau sur son bout de papier avant de lui tapoter le bras. Elle lui remet alors ses livres et son message avant de le planter là pour quelques secondes.

Pourriez-vous me garder ça ? Je n'en ai pas pour longtemps.

Sans plus attendre, Siam s’avance vers le gamin au visage barbouillé par les reliquats de l’explosion du pétard qu’il regarde encore, stupéfait par ce qu’il vient de lui arriver. N’y allant pas par quatre chemins, elle lui met une calotte derrière la tête, son air las renforcé par les gros sanglots de crocodile qui pointent sous les yeux du bambin. Un luxe, encore une fois, que l’ancienne esclave exécrait au plus haut point. Elle n’avait jamais fait de caprice, ou plutôt n’en avait jamais eu le droit et trouvait ce genre de comportement au mieux barbant, au pire agaçant.

Saisissant le feu d’artifice, elle entreprend de l’inspecter avec minutie. La fusée était simple, du moins c’est ce qu’elle en vit sur le cadavre roussi de celle qu’elle avait dans la main. Le réservoir de poudre, dont l’ouverture béante laissait tomber les pigments qui donnait ses couleurs à l’objet pyrotechnique. Rien d’étonnant à ce qu’il ait explosé au visage de son propriétaire, en fin de compte. Un nouveau tour de la fusée et la brune remarque, dans les restes fumants du carton, un logo à demi détruit. Ce même logo qui, alors qu’elle lève la tête vers le confiseur, orne la boutique devant elle. Un confiseur qui fait de la chimie, voilà qui est peut courant. Finalement, cette visite imprévue n’allait pas être aussi normale que prévue.

Siam fait signe au commerçant de se rapprocher et lui tend la fusée. Elle essuie ensuite ses mains pleines de suie sur son manteau et récupère son petit papier et son crayon. Un œil sur l’enfant en pleure à côté d’elle, elle écrit à toute vitesse et lui tend à nouveau avec un air mi-figue mi-raisin.

Si j'étais vous, je pense que je regarderais les réserves. Si cette fusée est à vous, soit votre fournisseur est un idiot, soit on vous veut du mal.  A moins que ça ne fasse parti des prestations de la boutique ? Elle enchaine ensuite, se tournant vers le petit qu’elle poke gentiment. Hey, qui t’as donné ça ? Lui ? D’un geste elle désigne l’homme dans son dos. Promis, ajoute-t-elle, je ne dirais rien à tes parents si tu nous aides

Le gamin hoquète un peu, encore contrarié par le coup maternel de la jeune femme mais finit par retrouver ses esprits après quelques minutes sous le regard des deux adultes. C’est avec difficulté qu’il commence à déballer son histoire, avant de se décider à n’omettre aucun détail dans l’espoir, secret, d’obtenir une des sucettes colorées qu’il voyait à travers la porte ouverte.

Un frisson parcourt le dos de Siam, soudainement piquée par le changement brutal d’émotion à côté d’elle. La colère, sombre, indicible, lui coule le long de la nuque avec un plaisir non dissimulé. La sensation, désagréable lui laisse l’impression d’avoir une main poisseuse, presque collante, près de la gorge. Elle se force pourtant à garder un regard clair et détaché en fixant son interlocuteur. Ce n’est pas la première fois que le Haki la prévient du danger, mais il n’a jamais été aussi direct. Elle savait que ce type était étrange, mais elle avait maintenant la confirmation qu’il était dangereux. L’aura qu’elle venait de ressentir s’étouffe brutalement, laissant l’esprit de la brune encore plus bouillonnant de réflexion qu’auparavant. Qui qu’il fut, ce qui se trouvait dans la réserve était important. Plus important qu’un simple feu d’artifice. Une information diablement intéressante qui signifiait que le vendeur de sucrerie était bien plus que ça.

Elle n’écoute pas vraiment l’enfant, bien trop concentrée sur le roux à côté d’elle. L’histoire ne la concerne pas réellement et, au vu de ce qu’elle a ressenti, il était peut-être plus sage de le garder à l’œil. L’homme semble un instant perplexe en écoutant le petit voleur, mais l’émotion disparait aussitôt pour être happée par une bienveillance aussi peu naturelle que le sourire qui l’accompagne. Inconsciemment, la main de Siam oriente le livre du dessous de la pile qu’elle a reprise de façon à pouvoir s’en servir en guise d’arme contendante tandis qu’elle hausse un sourcil devant sa demande. Pourquoi elle l’aiderait ? Une récompense c’était certes intéressant mais elle n’était pas fixée. S’il pensait qu’elle se déplacerait contre une poignée de bonbon et la vie d’un enfant, il s’était fourvoyé. Intervenir pour le tapage du premier, très bien, mais elle n’irait certainement pas nettoyer derrière quelqu’un qui n’était pas capable de veiller ses affaires, aussi dangereuses fussent-elle.

Je regrette mais je ne vous serais d’aucune utilité pour ce genre de chose. Elle désigne son bambou d’une main. Les gens n’adressent pas la parole aux esclaves si ce n’est pas pour le commerce.

Le regard de Siam se fait amère. Plus jeune, ce refus la blessait mais l’archéologue en avait fait sa force. Si personne ne s’intéressait à elle, elle était libre d’aller où elle le souhaitait et, par extension, de fouiner à sa guise. Pensive, la jeune femme le regarde s’éloigner, le regard fixé sur les mains qu’il a glissé dans son dos. Est-ce que la pyrotechnie était une contrebande intéressante ? Elle n’avait pas souvenir d’une interdiction de ce genre, parmi les plus stupide qu’avait pu émettre le Gouvernement Mondial. Elle salua cependant le génie de l’idée de la boutique de sucrerie. C’était un business discret, malgré les couleurs qu’il avait choisi. Si discret qu’au premier abord, elle n’aurait jamais pensé à un lieu de trafic quelconque. C’était aussi une des raisons de son refus. Elle devait en avoir le cœur net et l’aubaine que représentait la distraction n’aurait su être ratée.

En partant, le confiseur n’avait pas jugé nécessaire de fermer. Une erreur, quand on venait de se faire cambrioler des feux d’artifices. Peut-être n’avait-il réellement rien à cacher, mais l’ancienne esclave n’y croyait pas. Les pertes que représentent les larcins sont leur hantise profonde, tant elles peuvent faire de dégât dans la trésorerie. Quelque chose ne tournait pas rond : si le confiseur était assez riche pour se le permettre, grand bien lui en fasse mais pourquoi s’être diversifié dans la pyrotechnie dans ce cas ? Et pourquoi autant d’énervement pour quelques fusées ? Outre les dégâts probables sur sa réputation après avoir laissé un enfant accéder à sa réserve, il n’était pas responsable de l’incompétence des parents à discipliner leur bambin. Plus Siam énonçait les hypothèses dans son esprit, plus celui-ci se retrouvait confus par le manque d’élément qui permettait de conclure à une simple paranoïa de sa part. Elle devait en avoir le cœur net.

La silhouette de la jeune femme se glisse doucement dans la boutique après avoir posé ses achats à l’abri dans un buisson. Elle ne voulait pas les avoir dans les mains pour sa petite infiltration, si d’aventure elle devait se faire surprendre. Elle avait pris soin de laisser le gamin filer avant de se lancer dans sa petite enquête : si l’homme à qui elle avait affaire s’agaçait pour un vol, il valait mieux qu’il soit loin s’il venait à la découvrir en train de fouiller dans ses petits papiers. Siam fait le tour, une nouvelle fois, de la boutique. Parmi les étalages, il est difficile de trouver autre chose que des sucreries mais cette constatation n’étonne pas la jeune femme. Pour elle, le rez-de-chaussée n’est rien d’autre qu’un parfait déguisement qu’on a peaufiné avec le temps, l’argent et la patience. Aussi, lorsque son regard tombe sur les escaliers, elle n’hésite pas et, arrivant en haut des marches, elle se met un sourire en regardant les cuves qui orne le laboratoire de chimie. S’il y a quelque chose, ce sera sans aucun doute caché quelque part dans le coin.

Prenant une grande inspiration, elle rassemble toute sa concentration avant de se lancer dans les recherches. Un premier tour lui apprend que le laboratoire, de prime abord, réunit tous le nécessaire pour fabriquer les confiseries de l’étage en dessous. Logique, quand on travaillait une couverture pareille. Par curiosité, Siam s’approche des sacs de sucres. Ingrédient fard des préparations, il revenait à de nombreux endroits de la pièce et était disposé un peu partout, dans un désordre qui semblait volontairement ordonné si on prenait le temps de s’attarder sur les détails. Plongeant sa main à l’intérieur pour saisir le saccharose sous sa forme cristalline, son attention est attirée par la texture de celui-ci. Loin de la grosseur des grains qu’elle connait, il était d’une couleur blanche luisante qui ne rappelait rien à l’archéologue. S’il s’agissait de sucre, elle n’en avait jamais vu de la sorte. Jetant un bref regard aux deux entrées de la pièce, elle se permet de tendre l’oreille. La boutique, toujours calme, la rassure un peu sur l’avancement de son propriétaire et, même après vérification avec la Haki, l’aura si étrange qui caractérisait ce dernier n’était pas dans sa zone de perception. Une plutôt bonne nouvelle qui lui laisse le temps d’emprunter un petit sachet pour verser un peu de sa trouvaille à l’intérieur avant de le ranger dans une de ses poches et de recommencer à fouiller de plus belle.