-Kurokuro kurororo ! Une autre, tavernier !

Ayant lâché sa choppe l'espace de quelques instants pour se taper la cuisse, hilare, Kirie rigolait à une "blague" bien grasse de son nouveau copain de boisson, sans se rendre compte qu'il tentait juste de flirter de manière assez déplacée. Même si elle était sortie de sa période de biture permanente, le vide qu'elle avait essayé de combler par l'alcool et autres substances étant maintenant rempli par toute une nouvelle famille dont elle s'estimait responsable, elle n'était jamais contre un petit verre de temps en temps...Ou une petite quinzaine.

Peu importait, parce qu'aujourd'hui, elle avait décidé de leur laisser un peu d'espace. Surtout à Siam, qu'elle n'arrivait pas encore tout à fait à cerner. Même si elle semblait s'adoucir quelque peu, elle avait passé un long moment à se contenter de l'observer avec méfiance, une certaine menace dans le regard. Il y avait quelque chose dans cette petite qui la mettait mal à l'aise, lui instiguant une certaine méfiance toute instinctive, à son tour. C'était sans doute ce faux calme apparent, que Kirie et sa sœur avait partagé pendant un long moment. Comme sur la Calm Belt, qui semblait à première vue si paisible, qui pouvait réellement savoir tout ce qui se cachait sous cette façade ?

S'arrêtant de penser le temps de finir d'un cul sec la large pinte qu'on venait de lui servir, elle prit de longues lampées, la boisson coulant par endroits le long de son menton, tant elle s'empressait de l'engloutir. Une fois terminée, elle poussa un fort soupir de satisfaction, avant de s'essuyer la bouche en y passant son kimono, finissant par frapper avec force son verre sur le comptoir massif. Suivant son mouvement, elle s'effondra lentement vers l'avant, jusqu'à ce que sa joue ne touche le bois réconfortant et humide du bon vieux bar de seconde zone. Il avait cette odeur particulière et légèrement nauséabonde qui l'avait tant bercée, dans sa période la plus sombre.

Maintenant qu'elle était dans sa période de récupération, elle pouvait les retrouver avec la nostalgie qu'on a en rencontrant une ex de "rebound", après avoir trouvé la femme de sa vie. A l'époque, elle n'avait pas suffisamment su apprécier ce support unique dans un océan de galère. Bon, bien sûr, ce n'était pas à ça qu'elle devait la fin de son blues, loin de là. Mais bon, si elle n'avait pas pu boire de temps en temps et taper sur l’occasionnel connard pour penser à autre chose que sa peine, Dieu sait ce qu'elle aurait bien pu faire de son temps.  La tête penchée sur le côté, le regard dans le vide, elle faisait tanguer sa choppe de gauche à droite, la faisant claquer contre le bar, comme pour se bercer alors que la tendresse de l'ivresse l'emportait doucement vers une longue sieste. Au final, c'était juste à cause de la ressemblance qu'elle voyait avec la petite muette, qu'elle se faisait tant de souci pour elle et leur relation. Plus d'une fois, elle avait hésité à quitter le bateau discrètement, durant une des nombreuses nuits où ils restèrent amarrés.

Comme ça, sans dire un mot, certainement pour retomber dans les mêmes mauvaises habitudes. Kirie ne l'avait jamais fait, cela dit. A chaque fois, elle revoyait les frimousses enjouées de ses Pélicans, quand ils la voyaient, même deux secondes après s'être fait sèchement réprimandés. La mine sereine et solide de Gwaine. Même quelques nuits où elle s'était retrouvé avec Siam, tout en haut sur la nacelle de la vigie, par inadvertance ou sur le pont, en pleine nuit. La petite ne lui avait encore jamais dis le moindre mot, mais il lui arrivait de rester près de la borgne, en silence, pendant que celle-ci lançait ce qui lui passait par la tête ou qui lui pesait, jamais sûre de ce qui définissait réellement ces moments. En tout cas, peu importe combien elle avait pu être proche de quitter le navire en pensant ne plus jamais y retourner, elle n'avait jamais réussi à aller plus loin que le bastingage. Il y avait toujours quelque chose qui la ramenait vers les siens.

Comme une voix, à l'arrière de son esprit, qui lui disait qu'elle allait le regretter, si elle répétait une nouvelle fois de chemin, emportée par ses émotions. Lorsque sa sœur avait disparu de leur île natale, la jeune femme avait vu rouge. C'était sans doute la première fois qu'elle avait ressenti une telle rage. Le premier brasier qui s'était nourri au fil des années, jusqu'à devenir un feu de forêt destructeur, mais qu'elle réussissait pourtant davantage à contenir...Parfois. En tout cas, quand sa vision s'éclaircissait et qu'elle retrouvait un certain équilibre, il y avait une personne qu'elle avait toujours regretté de laisser tomber, même après tout ce temps.

Pas un mot, pas un au-revoir, comme si leur relation n'avait jamais compté. Cet ami d'enfance qui avait toujours été là pour elle, même dans ses moments de doutes les plus profonds, qu'elle avait abandonné, répétant exactement le même schéma qui l'avait mis tant hors d'elle-même. Plusieurs fois, elle s'était dit que, si elle le lui avait demandé, son camarade aurait certainement accepté de l'accompagner pour ramener sa maudite cadette, sans sourciller. Peut-être même que les choses auraient pu tourner différemment, avec lui à ses côtés.

La coupant dans ses réminiscences semi-consciente du passé, l'homme avec qui elle avait partagé quelques verres jugea qu'elle paraissait suffisamment assoupie pour pouvoir tenter sa chance. Il leva la main, commençant à l'approcher subrepticement de la cuisse de Kirie, les pulsions graveleuses faisant étinceler son Intuition. Sans mot dire et de manière très machinale, elle bascula le bras en arrière avec force, écrasant violemment le récipient qu'elle tenait encore fermement, directement dans la face du type à la main baladeuse.

-J'suis désolée Faust. Grommela-t-elle à peine consciente. Le prends pas comme ça gros...Pas la marine !

Le verre éclata au violent choc frontal, lacérant le pervers qui s'effondra en arrière, n'ayant eu le temps que de grogner brièvement lors de l'impact. Désormais, il ne faisait plus un bruit, ni aucune tentative déplacée. Le coup l'avait couché net, mais si il était silencieux pour le moment, bordé par la perte de conscience, il risquait de le sentir passer, au réveil. Si celui-ci avait jamais lieu...Toujours dans son demi-sommeil et pas alertée le moins du monde par son geste, la maudite lâcha la anse qui lui était resté entre les doigts, avant de ramener son avant-bras sur le comptoir pour s'en servir d'oreiller. Elle avait juste besoin de se reposer les paupières. Juste quelques secondes. Promis. Si elle pouvait juste arriver à rester au calme, juste...

-ey... oi...à !

Des bruits distordus semblaient lui venir d'une direction qu'elle avait du mal à identifier et elle se contenta de tourner la tête de l'autre côté, remuant sa main pour tenter de chasser la gêne comme elle le pouvait, mais sentant le sommeil salvateur la quitter petit à petit. Elle venait de rater son train et revenait tout doucement à la conscience qu'elle avait essayé de laisser derrière elle. Pas bien longtemps. C'était dans ce genre de brouhaha incessant qu'elle avait réussi à trouver le plus de calme, à l'époque. Maintenant, elle commençait à voir ça comme une nuisance toute nouvelle, qu'elle ne supportait plus vraiment. Elle s'était déjà habituée à un nouveau bruit constant et tonitruant, et il était incomparable à celui-ci. Peut-être était-elle en train de grandir ? Peut-être aimait-elle juste se plaindre.

-Hey, si tu dors, tu payes avant ! Lui lança le barman, excédé et avec un air on ne pouvait plus sérieux. Si tu te fais piller, je fais pas de reconnaissance de dettes, t'entends ?!

Ouvrant l’œil doucement, elle mit un moment à l'apercevoir, blotti à l'autre bout du bar, vraisemblablement terrifié par quelque chose. Elle haussa les épaules, sans comprendre que c'était d'elle qu'il s'agissait. De son point de vue, c'était juste type bizarre de plus. Ça pullulait, dans le coin. Attrapant une paille qu'elle se cala entre les crocs pour jouer avec, elle passa la tête par-dessus son épaule, observant le type au sol, avec qui elle avait commencé la soirée.

Couché depuis moins de 5 minutes, le pauvre homme était déjà en caleçon, toutes ses possessions s'étant faite dépouillées, quasiment dès le moment où il avait heurté le sol. Choquée, elle leva brusquement un sourcil, son poing rageur venant se poser sur ses hanches. Incapable de se rappeler être la cause de son état, Kirie se trouva profondément outrée de l'attitude de certaines personnes. Vraiment, c'était pas des manières, de cogner librement les honnêtes gens et de les dépouiller. Non non, pensa-t-elle en glissant la main sous ses vêtements, à la recherche de ses berry. Vraiment pas des manière...Se tapotant la peau à plusieurs endroits, fouillant dans chaque recoin, elle commença à sentir son expression se crisper. Sortant lentement ses doigts de sous le tissu, elle pointa son index sur la pauvre victime, éclatée par terre.

-Oï, oï...C'est lui, qui était censé me payer mes canons. Annonça la belle sans se démonter. C'est sacrément problématique, pas vrai ? Kurorororo !

Visiblement, oui, puisqu'elle essuya un barrage d'insultes dont plus de la moitié étaient inintelligibles de la part du barman, tremblant en astiquant frénétiquement un verre, dandinant de droite à gauche, partagé entre la colère et la terreur. Tout de même professionnel très sérieux, il ne voulait rien entendre et continuait de réclamer un paiement en pièces sonnantes et trébuchantes. Après avoir argumenté sur un débat totalement stérile pendant plusieurs trop longues minutes, une voix dans un coin de l'établissement se fit entendre, à son encontre. Cela faisait déjà un moment que Kirie sentait sur elle une paire d'yeux inquisiteurs, mais elle avait préféré l'ignorer, ne souhaitant pas réellement se lancer dans un réel affrontement, pour le moment.

-Viens là, Cutie Pie-chan ! Entendit-elle, grommelant quelque chose de son côté. Si tu mets le sabre que t'as sur le dos, là, en jeu, tu vas pouvoir gagner gros !

Le coin de ses lèvres se plissa légèrement, alors qu'elle traduisait ce qu'elle venait d'entendre par "J'ai un challenge pour résoudre ton problème", ce qui réunissait ses deux choses favorites dans le monde entier. Intriguée, elle se rapprocha de la table dont on l'avait appelée, le bras placé sous son imposante poitrine. On lui expliqua sans même qu'elle ait besoin de poser la question qu'il s'agissait d'un pur jeu de hasard, utilisant un type d'arme à feu qu'elle n'avait jamais vu mais dont le design avec le barillet lui plaisait particulièrement, elle qui n'était pourtant pas une grande fan, à l'origine. Par contre, il n'y aurait pas un grand danger de son côté...Peu importait, c'était une façon simple et rapide d'éponger ses dettes et pour l'instant, c'était tout ce qui lui importait !

-Le premier qui meurt a perdu. C'est ça, pas vrai ? Résuma la challenger en mâchonnant sa paille.

-Oh oh oh, tu comprends vite, ma mignonne. C'est rare, de nos jours ! Moi, c'est Jack ! Déclara le champion en titre. En guise de bonne foi, j'tente ma chance en premier, tu vas voir, c'bête comme chou.

Parfait. Elle prit place à la table, sans se soucier des impatients qui défilaient vainement pour enchaîner les uns après les autres des défaites cuisantes, y déposant sa Meito avec une totale assurance dans sa victoire. Une chance sur six de perdre, pour un adversaire normal. Pour elle, c'était loin d'être un réel problème. Son opposant attrapa l'arme avant de la déposer contre sa tempe, après en avoir fait tourner le barillet. Ayant attendu quelques secondes, il avait beau tenter de jouer la comédie pour faire le type inquiet, elle percevait clairement que ce n'était rien de plus que cela pour lui en réalité. Un jeu. Une performance. Sans grande surprise, le "clic" sonore du chien qui ne rencontre rien à projeter se fit entendre, annonçant que le jeu allait se poursuivre. Ce qu'elle voyait là ne lui plaisait pas vraiment. Elle ne savait pas si le jeu était vraiment douteux ou si seul son adversaire l'était. La ligne semblait floue, alors qu'il déposait l'arme au métal froid à portée de Kirie.

Le prenant en main, elle commença à le soupeser doucement, le tournant d'un sens, puis de l'autre, pour inspecter le travail effectué sur l'objet. C'était une belle pièce, pour sûr, certainement faite sur-mesure pour ce dégénéré. Elle n'était pas réellement sûre de ce qu'elle avançait, mais elle était à peu près certaine, malgré son état second, que l'on essayait de se payer sa tête. Soit ! Si il voulait jouer, elle allait jouer. Reproduisant la geste que Jack lui avait montré juste avant. Pressant à son tour la gâchette, une détonation tonitruante éclata dans le bar, résonnant entre les murs alors que le corps de Kirie s'effondrait sur le côté, faisant tomber son tabouret à la renverse.

- Oh oh oh ! On dirait que c'est mon jour de chance, pas vrai ma mignonne ? Ça en fait un de moins ! A qui l'tour ?

Elle resta là un long moment, sans que personne ne lui accorde plus d'attention que ça, son crâne présentant un trou béant, loin d'être naturel, même avec l'aide d'une balle tirée à bout portant. Celui-ci crépitait en silence, alors que le bruit de la détonation résonnait encore comme un coup de surin jusqu'aux tréfonds du cerveau de la belle. A quoi avait-elle pensé ? Même si tout ça l'avait réveillé, elle aurait sans doute un sifflement insupportable en tête, pendant plusieurs jours. Elle pouvait déjà le sentir. Le "vainqueur" approcha se frotta les mains, en les approchant de Kireru.

Malheureusement pour lui, avant qu'il n'ait le temps d'y poser ses sales pattes, Kirie s'était redressée avec un sourire carnassier affichée sur la face, plantant sans ménagement son wakizashi dans la main du tricheur, le clouant contre la table pour l'empêcher de s'approcher davantage. Elle avait changé d'avis, par rapport à tout à l'heure. C'était finalement peut-être tout bêtement de ça, dont elle avait besoin. Il fallait essayer de tourner un peu tout ça, histoire de pas passer pour la rabat-joie de service. Posément, elle remit son nodachi en place sur son dos, se penchant à son tour en avant, inspectant sa proie.

- C'est pas bien de tricher. Je peux vraiment pas laisser passer ça ! Je vais venger la mémoire de tous ceux dont tu as lâchement pris la vie !

-Mais...Espèce de..! Viens pas me parler de tricher alors que tu tiens encore debout, grognasse !

-...

Marquant une petite pause devant cet argument accablant, Kirie put entendre un ange passer. Tout autour, la foule s'était épaissie, les chuchotements allant bon train. Ce ne devait pas être souvent que Jack se faisait agresser hors de sa zone de confort.

-LA FERME !

C'est tout ce qu'elle trouva pour brouiller les pistes, donnant un violent coup de pied dans la table de jeu pour la renverser, elle mit trop de force dans son assaut et envoya valdinguer le mobilier plus loin, dans un groupe de spectateurs, avant son opposant initial. Tandis que tout le monde l'observait avec des soucoupes et des gueules de trois pieds de long. Profitant de ce moment de confusion pour récupérer sans le moindre tact le sabre qu'elle venait d'égarer dans un connard, elle tituba légèrement pour arriver jusqu'à lui, pour le lui arracher. Elle devait vraiment être bien bourrée, pour être aussi négligente. Bad, bad Kirie. A l'aide de quelques mouvements rapides du poignet, elle retira une grosse partie du sang présent sur sa lame,  essuyant délicatement ce qu'il restait du bout de la manche de son kimono, tout en rengainant le sabre.

Quelque chose attira son attention, du coin de l'oeil, et la fit pivoter sur elle-même pour apercevoir un grand roux, à l'autre bout de la pièce. Il n'avait rien à voir avec le reste de la populace qui jonchaient les lieux. Un touriste ? Un voyageur ? Un noble ? Où l'avait-elle déjà vu..? Prise d'un léger hoquet, elle le dévisagea pendant de longues minutes, l'air circonspect. Il y avait définitivement quelque chose de louche avec ce mec. Cette chevelure flamboyante, presque comme la sienne. Ces yeux perçants, affûtés comme une lame prestigieuse. Non. Ce qui lui attirait vraiment l’œil. C'était ce bouc. LE bouc ! Levant le doigt vers Faust, qui ne portait pas les couleurs de la marine, en ces lieux, le visage de Kirie se déforma en une grimace très caractéristique quand elle était réellement prise de court. Les différentes pièces du puzzle se mettant petit à petit en place. Ça, ou bien elle ne tenait vraiment plus la boisson aussi bien que dans ses souvenirs et elle avait atteint un tout nouveau domaine d'ivresse.

-NANIIIIII ?!

Divine Comedy Seal of approval

Même si elle avait le sang chaud, ce n'était pas tant Jack qui l'avait fait partir au quart de tour. Il suffisait de voir comment elle avait défendu son soudain son coup de sang. Déjà très à fleur de peau, son Intuition lui permettait d'absorber tout ce qui l'entourait, et quelque chose la titillait depuis qu'elle s'était assise à la table de la roulette russe. Une sensation étrangement familière, lui passant insidieusement sous la peau, avec une douceur oubliée qui la révulsait. Une présence délaissée qui lui donnant l'impression de redevenir une enfant. Redevenir celle qui n'était déjà plus.

C'était sans doute pour ça qu'elle n'avait même pas cherché à se contenir, plus qu'à cause de son état d'ébriété ou le sifflement strident qui lui résonnait dans le crâne depuis le coup de feu. Quelque chose la démangeait et elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus pour se gratter jusqu'au sang. Dans ce genre de cas, sa réponse était plus ou moins la même, à chaque fois. Kick some ass. Break shit up.

Entre l'agression ambiante et la nostalgie dérangeante qu'elle ressentait, elle se sentait épiée de toute part. Son état général n'aidait pas non plus à isoler la source de sa gêne. Le bar était une énorme ratatouille bouillonante, débordante d'un mélange infecte qui ne le lui laissait pas le temps de se poser pour réfléchir. Ce n'était pas ce qu'elle préférait, et Jack n'arrangeait rien, obligé de la ramener après s'être servi de la colère et la crédulité de ses concitoyens. Eux-aussi, l'insupportaient. Combien de débiles s'étaient assis exactement là où elle avait posé ses miches, plein d'assurance et de confiance dans leur bonne étoile, avant de presser la dernière détente de leur vie ? En fait, tête brulée comme elle était, elle se demandait si elle aurait vraiment refusé le challenge, sans sa condition de logia.

L'idée de pouvoir être aussi débile que cette bande de pégus était révoltante. Etablissant un débat intérieur, elle avait commencé à se juger elle-même sur ses actions, comme pour se justifier auprès de cette présence qui lui faisait l'effet d'une madeleine du fameux Proust D. Marcel, écrivant auquel elle s'était intéressée uniquement pour le D., qu'il partageait avec le père de la rousse. Quand elle était encore toute jeunette. Des souvenirs qu'elle avait refoulé loin dans son esprit lui revinrent en une douce décharge. Elle ressentait la terre meuble de la forêt sous ses pieds, ses narines s'emplissaient des douces odeurs qui émanaient de tout le voisinage à l'heure du souper. Les rires de Kirie, durant leurs jeux d'enfants.

Alors, pour faire taire tout ça, elle avait attaqué Jack, avec son arme à elle. Les bars, c'était pour se remettre de ses dépressions, ou passer du temps avec des gens plus difficile à saquer sobre. Pas pour retomber dans une qu'on avait déjà dépassé ! Elle savait très bien que tout déraperait dès le moment où elle rentrerait dans l'agression. C'était bien ce qu'elle espérait, justement. Comme d'habitude, quand il s'agissait de prévoir ce qu'il adviendrait d'appuyer sur un point sensible, elle pouvait faire preuve d'une finesse incroyable. Bon, finesse n'était peut-être pas vraiment le terme approprié. C'est au moment où elle s'efforçait d'oublier l'attirance du passé, décidée à lui faire voir ce qu'elle avait raté depuis le début, qu'elle avait fini par remarquer Faust. Est-ce qu'elle avait bien entendu quelqu'un rajouter un "sama" en l'appelant ? Etait-il devenu riche, après son départ ? Au point d'avoir un majordome personnel ? Dans ce genre de vieux boui-boui...? Titillant sa curiosité, elle fit un pas en avant, oubliant le tumulte qui l'entourait pour se concentrer sur cet écho d'autrefois, la source de toutes les émotions contradictoires qu'elle avait ressenti depuis le début. Alors qu'elle s'apprêtait à appeler son nom, à son tour, une rafale de balle venant de la gauche lui faucha cette oportunité, la traversant sans la moindre encombre en se gorgeant d'électricité, avant de se répartir librement dans l'assistance tout aussi belliqueuse, sur la droite. Heureusement que les seuls qui ne s'étaient pas précipités vers la sortie défendaient Jack.  

« Tuez-là ! Transpercez-là, brûlez-là, gazez-là, tranchez-là ! Peu importe, mais butez-là non de Dieu ! »

Les victimes des balles perdues n'eurent pas longtemps pour crier leur douleur, traversée par un courant qui leur fit violemment perdre connaissance. Ils ne jouaient simplement pas dans la même league. Malgré tout, alors qu'elle avait trouvé quelque chose de mieux à faire que d'échanger des gnons, ce qui n'était pas chose facile, on l'avait interrompu. Ce salop de tricheur ne savait vraiment pas quand il fallait s'avouer vaincu, comme n'importe quel gros poisson dans une petite marre. Si jamais ce brochet se trouvait soudain nez-à-nez face à un Roi des Mers, aurait-il le moindre moyen d'appréhender la réelle menace qui se dressait soudainement en face de lui ? Non. Tout comme celui qui n'a jamais connu la moindre difficulté ne peut envisager une défaite cuisante et irréversible.

Un léger sourire au coin de la bouche, elle détourna son regard de son vieil ami, qui venait de ressortir un nom qu'elle n'avait pas entendu depuis des lustres. Elle n'avait pas encore envie de s'expliquer, alors elle décida de s'accorder un petit en-cas. S'approchant pas à pas du tireur, ignorant totalement ses tentatives de recharger pour tenter de l'atteindre par de nouvelles rafales, ainsi que ceux qui s'échinaient désormais à vouloir la trancher de part en part, le seul résultat concret étant parfois de blesses grièvement un autre de ceux participant à l'attaque.

Lorsqu'elle finit par le dominer de toute sa hauteur, sans la moindre blessure n'ayant pas déjà cicatrisé depuis bien avant de ne mettre le pied dans ce bar miteux, celui qui allait lui servir d'exemple ne pouvait s'empêcher de trembler en réalisant finalement son impuissance. Au moment où un cocktail molotov passa au travers du visage de Kirie pour mettre le feu au comptoir ainsi qu'à une partie de la foule en colère, elle posa doucement la main sur la joue droite de sa proie, avec un sourire tout à fait maternel, fermant son seul oeil valide. Il y avait toujours eu beaucoup de compétition entre elle et son camarade d'antan. Peu importe la voie qu'il avait pu choisir, il avait intérêt d'avoir continué à s’entraîner, car elle comptait bien lui montrer clairement qu'elle était désormais un tout autre animal.

Agrippant la face de l'homme bégayant vainement de la pitié, sans la moindre échappatoire, la Borgne le ramena avec violence sur le côté, soulevant ses pieds du sol avec aisance, tournant le buste pour l'abattre sur Jack, se servant de celui qu'elle tenait en main comme d'une arme contondante, l'impact des deux crânes emplissant les lieux dans un vacarme sinistre, jetant un froid sur toute l'assemblée. C'était déjà bien, mais pas réellement satisfaisant, car même si tout le monde s'était tût, Kirie continuait de ressentir toute leur animosité, leur peur et tous ce spectre émotionnel assourdissant. Le dos de la belle commença à s'agiter nerveusement, comme si des protubérances instables se gonflaient et se dégonflaient sous son kimono, dans un grondement qui semblait de mauvais augure.

Sans un mot, elle décida d'instaurer le silence. Ses vêtements ainsi qu'une partie de ses cheveux se changèrent en une masse d'éclairs palpitants, alors que le reste de son corps devenait instable. La rousse relâcha une décharge sèche, dans toutes les directions, avec elle comme épicentre, dans le but de faire un bon gros coup de ménage, d'un seul coup. Une fois toute l'électricité projetée dans le bar, tétanisant tout ceux qu'elle rencontra sur son passage et éclatant des verres, ainsi diverses commodités du lieu. Au moment où ils commencèrent à tomber comme des mouches, un éclat sonore tonitruant submergea les lieux, comme un coup de tonnerre.

Sans s'occuper du croquant standard, de toute façon occupé à se convulsionner comme un ver fou, à même le sol de bois poisseux, elle reprit sa forme normale, avant de siffler un bon gros coup, le paysage s'étant enfin calmé. Son vieil ami étant tout de même loin d'elle, elle espérait ne pas l'avoir trop "shocké", ou au moins, lui avoir donné l'occasion de se sortir de sa zone d'effet. Elle le chercha quelques instants des yeux, avant de le trouver. Décidant de flamber encore un peu plus, elle se changea en un trait de foudre, se projetant d'un bout à l'autre de la pièce pour se retrouver, presque au contact, avec son vieil ami. Restant silencieuse durant un moment, elle repensa à son rêve de tantôt, où elle l'avait vu avec un uniforme de la marine, sans doute avec cet étrange homonyme dont elle avait tant entendu parler lors de sa promotion et quelques-uns de ses exploits.

-Kurorororo ! FAUST ! Commença-t-elle en se grattant nerveusement l'arrière de la tête. Désolée, désolée. Rajouta Kirie, passant son bras valide sous sa poitrine pour la soupeser, donnant un petit coup de tête par-dessus son épaule pour lui montrer le carnage qu'elle avait réalisé dans son dos, décidant de se vanter un peu davantage. C'est pas simple de contrôler toute cette force. Puis, elle décida d'enfoncer le couteau un peu plus dans la plaie. T'es pas blessé, dis ?

Hochant négligemment les épaules, elle secoua un peu la tête, l'air soudainement blasé. En réalité, elle trépignait de discuter d'énormément de choses avec lui, et son petit coup de théâtre en était la preuve formelle. Mais il fallait donner le change, rester keeewl. Elle s'en voulait toujours de la façon dont elle avait quitté son île natale et appréhendait énormément la façon dont il aborderait leurs retrouvailles. Ce qu'elle ressentait venant de lui était trop souillé par sa subjectivité par rapport à lui pour posséder son habituelle finesse.

Lui-même semblant être en proie à un lourd conflit émotionnel, ce qu'elle avait décelé dès qu'il avait posé les yeux sur elle, sans même s'en rendre compte. Un peu maladroitement, elle tenta de briser la gêne qu'elle ressentait, faisant preuve de ce qu'elle qualifiait d'humour et de piques sympathiques. Trop concentrée sur Faust pour calculer son suivant le moins du monde.

-Tu vas rire, je pensais justement à ton homonyme, là. Ponctua-t-elle d'un rire nerveux, mal à l'aise pour la première fois depuis bien longtemps. T'imagines un peu, la tête que j'ai tiré, la première fois, quand j'ai cru que c'était toi ?!

C'est ainsi que conclut la Dokien, avant de lui donner une bourrade amicale sur l'épaule, ignorant totalement la manière dont elle avait mis les pieds dans le plat, grossière et évidente comme un pain en pleine figure, qui vous brise le nez et vous retire quelques dents, sans même imaginer le dommage qu'il pouvait bien occasionner.

Divine Comedy Seal of approval

Après s'être bien amusée, la Terreur du bar put commencer la discussion avec son vieil ami d'enfance. Somme toute, le bougre n'avait pas vraiment changé. Il avait toujours été ce type intense et propre sur lui qu'elle avait en face des yeux, mais l'âge semblait l'avoir encore plus endurci. Il avait réussi à bloquer son assaut sans trop de mal, bien qu'elle n'ait pas trop poussé pour ne risquer la mort de personne, malgré ce qu'elle pouvait bien en dire. Depuis sa rencontre avec son nouvel équipage, la jeune femme se sentait pousser des ailes. Cacher son fruit n'avait aucun sens, mais même si elle aimait bien un peu d'échauffement, massacrer des pauvres imbéciles beurrés n'était pas vraiment dans son mode opératoire. Rien qu'à voir son ancien camarade, elle frétillait sur place, ne souhaitant rien d'autre que se mesurer à lui, après tout le temps qui était passé. A l'époque, même si leurs affrontements étaient disputés, il avait toujours eu un net avantage...Désormais, même sans l'aide de son fruit, la jeune femme se demandait si le résultat serait toujours le même.

Faust semblait sûr de ses capacités et de son potentiel, voire un peu arrogant, mais cela n'étonnait guère la borgne. Le contraire aurait été bien plus étrange, car il n'avait jamais été quelqu'un de faible, que ce soit physiquement ou mentalement. Depuis son plus jeune âge, il avait été habité par une certaine force de caractère qui avait beaucoup inspiré Kirie, bien avant qu'elle ne porte ce nom. Totalement stoïque face aux nouvelles capacités de la jeune femme, le marine incognito était fidèle à lui-même. Elle aurait quand même aimé un petit "Olala, tu es devenu de la foudre ?" ou "Bah dis donc, un truc comme ça, c'est pas tous les jours !". N'importe quoi en fait...Au lieu de ça, il était là, comme un mannequin inerte, à lui faire une remontrance comme si ils ne s'étaient jamais quittés.

C'était également touchant, à sa façon, mais ce n'était pas ce qu'elle voulait. Ce n'était pas ce à quoi elle s'était attendue. La Capitaine avait souvent pensé à lui, lors de ses pérégrinations, à se demander ce qu'il pouvait bien faire, l'état dans lequel il pouvait se trouver...Plusieurs fois, elle avait pensé à ce qu'ils pourraient se dire, au moment de se revoir. Elle pourrait s'excuser d'être partie comme une voleuse et ils auraient pu en parler, pour la première fois, après de trop nombreuses années. Il aurait certainement pu la comprendre, car il entretenait une relation étroite avec la sœur de la bête de foudre, à l'époque...Dans une autre vie, ils auraient sans doute pu partir tous les deux, si elle n'avait pas été aussi bête. Kirie, Faust et Hide, révolutionnaires ! Pirates ! Nakamas. Mais sans l'once d'un bonjour, il avait directement embrayé sur la santé de son compagnon. Son nouvel ami. Son meilleur pote. Oulala, môsieur Yashin le privilégié, incapable de se défendre tout seul !

Ca l'énervait, mais ça l'énervait...Malgré tout, elle conservait un large sourire qui se faisait de plus en plus forcé, pour ne rien laisser paraître de tout ça. Si elle continuait dans sa lancée, elle risquait un claquage certain, à un moment ou un autre. Pour donner le change, mais aussi préserver sa mâchoire, elle entreprit de lui répondre tout en se tapant la cuisse.

- Désolée, mais bon, en se baladant avec un fouteur de merde dans ton genre, il devrait s'y attendre un peu, non ? Ironisa-t-elle, mi-figue mi-raisin. J'ai pas saisi ton nom, d'ailleurs..? Ajouta la jeune femme à l'encontre de celui qui accompagnait son ami.

Coincé dans son propre énervement, elle ne remarqua même pas la gêne de Faust, même si elle ressentait bien quelque chose d'étrange, émanant de lui. Tous les deux devaient le ressentir...Il y avait comme une gêne palpable qui planait entre eux, un abcès qui ne demandait qu'à être crevé, pour que la discussion reparte sur des bases saines. Comme avant...Elle ne l'écouta que d'une oreille distraite, son cerveau refusant d'imprimer ce qu'il venait de lui avouer, indirectement, sans même s'en rendre compte. L'espace d'un instant, elle resta immobile et muette, figée dans une position en clignant nerveusement des paupières. Elle pouvait voir les lèvres de Faust bouger, mais aucun son ne semblait en sortir...Pareil pour tout le reste du bar, sur lequel était tombé un silence épais, surnaturel.

Les lumières commencèrent à disparaître et pendant un bref instant, Kirie se retrouva toute seule avec son camarade, au visage masqué par les ombres. Comme prisonnière d'une hallucination, ou peut-être d'une réaction incontrôlée et démesurée de son Intuition, qu'elle ne maîtrisait pas encore parfaitement et encore moins en cas de lourd stress émotionnel. La fière libératrice d'esclave, l'estropiée valeureuse, qui avait eu tant de mal à s'arracher aux griffes de la dépression et de son passé, qui avait fait trembler son lot de nobles et de marines, celle-là même eut l'impression de redevenir une gamine, faible, naïve. Idiote. Accablée par la tristesse, retenir sa lèvre de trembler lui prenait toute la force qu'elle avait, petite et désemparée qu'elle se sentait. Les yeux de la jeune femme, même celui qu'elle avait perdu, brûlaient tellement qu'elle avait l'impression de les sentir bouillir, directement dans ses orbites. Ses jambes commençaient à peiner à supporter son poids, au fur et à mesure que la compréhension se faisait un chemin dans son esprit, la borgne luttant inconsciemment pour tenter de l'en empêcher, en vain.  

- Hein..? Demanda-t-elle, perdue et penaude, avec l'impression de flotter dans ses vêtements, comme une gamine.

Puis, alors qu'une larme coula de son oeil mort, apparaissant sous son cache-oeil et descendant jusqu'à sa joue pour s'y écouler tristement, elle fronça les sourcils, serra la mâchoire et le poing, rageuse. La nouvelle était trop dure à encaisser et elle refusa catégoriquement de chuter à nouveau dans ce précipice sombre qu'elle avait tant peiné à quitter, la première fois...Pas pour lui, pas comme ça. Le monde retrouva ses couleurs et sa musique, même si il était étouffé par le tambour rageur de son sang, qui lui battait les tempes. Pour chasser sa peine, elle la repoussait à grands coups de fureur, qui ne cessait de monter en elle.

- Quoi ?! Reformula la logia, dans un grincement de mauvais augure.

Faust, sur qui elle avait toujours pu compter, n'était plus de son côté. Faust, son ami de toujours, était en fait un Contre-Amiral de renommée. Faust, dont deux sœurs s'étaient éprises, avant de convenir ensemble qu'il était finalement plutôt un genre de "grand-frère", l'avait trahie. Il avait trahi Hide, mais surtout, la mémoire de Kirie. Ce qui était l'une des seules choses pouvant encore donner la rage de vivre, à l'aînée qui avait adopté son prénom. Les pointes de ses cheveux commencèrent à crépiter, tout comme les extrémités de son corps, de plus en plus instables. Elle avait envie de hurler, de pleurer. Elle avait envie de détruire. Levant sur son ancien ami un œil courroucé, Kirie tenta de dire quelque chose, mais aucune parole intelligible ne sortit de sa gorge. Quelque chose de monstrueux le fit, à la place, dans un flash lumineux. La force de la pirate se libéra brutalement, dans une vaste décharge sonore.


La violente vague électrique désintégra tout ce qu'elle rencontra sur son passage, laissé un sillon bien net dans tout ce qui lui barra la route, sans ralentir une seule seconde. Dans la rue, le sol était méconnaissable, creusé et fumant. Maintenant son cri tonitruant pendant un petit moment, elle s'arrêta finalement, chancelante. Elle essaya de prendre appui sur la table, mais celle-ci n'existait plus, comme une bonne partie de la taverne et de ce que l'on pouvait trouver derrière. Manquant de perdre l'équilibre, la rousse pouvait sentir chaque muscle de son corps trembler, grelotter comme si elle était accablé par un froid glacial, qui lui gelait les os et le cœur. Peut-être avait-elle emporté des gens dans son attaque, autre que Faust et son camarade, même si la plupart devrait sans doute se trouver dans son dos, mais elle ne pouvait en être sûr, et n'y pensa pas un seul instant. En tout cas, tout autour d'elle, il n'y avait plus personne. Tout le monde avait fui.

Esseulée, en plein état de choc, quelque chose se brisa chez la femme de foudre et les larmes se mirent à rouler le long de ses joues, sans qu'elle ne puisse rien y faire. Le regard détourné, penché vers le bas, elle était bien incapable de regarder les conséquences de ses actions, refusant même d'y penser. Elle ne pouvait pas y penser, parce qu'elle avait besoin de rester en colère. Il le fallait, si elle ne voulait pas que ses forces l'abandonnent et que le monde ne lui paraisse une nouvelle fois bien vide. Alors qu'elle avait pensé trouver quelque chose susceptible d'apaiser la douleur qui existait encore en elle, cela n'avait fait que rouvrir une plaie encore trop fraîche. Kirie eut une irrépressible envie d'aller voir Siam, Gwaine, Calypso et de les serrer contre elle, jusqu'à ce qu'ils ne parviennent plus à respirer...Malheureusement, pour le moment, elle était bien incapable de bouger.

Son corps et ses sens étaient encore en pleine ébullition. La sauvageonne n'en avait pas eu assez pour expulser toute sa colère. Elle avait envie de casser tout ce qui était présent dans son entourage, mais une voix au fond de son esprit lui sommait de ne pas le faire, de respirer, de se calmer. Cette voix, c'était celle de sa sœur, mais malheureusement, cela ne pouvait qu'empirer les choses et la déboussoler encore davantage. Elle ne savait ni comment appréhender ce qu'elle venait de faire et encore moins ce qu'elle avait appris. Après son coup d'éclat, elle se retrouva à nouveau dans le silence.

Divine Comedy Seal of approval

Au fond, peu lui importait que Faust ait fait de nouvelles rencontres depuis. C'était normal, même si une partie d'elle se sentait un peu mise à l'écart, après avoir rencontré ces deux énergumènes, ensemble. Tout ce qu'elle voulait, inconsciemment, c'était simplement quelque chose lui permettant de se raccrocher à son passé. De se dire que, finalement, tout n'avait peut-être pas autant changé qu'on pourrait le croire. Bien qu'elle ait fait son lot d'effort pour tourner de la page et aller de l'avant, une partie d'elle, timide, s'attachait à un espoir, naïf, que le monde garde quelques valeurs sûres.

Tout ça s'écroula, en apprenant le choix de carrière de son vieil ami. Imaginer Faust dans la marine l'obligeait à ressasser des images qu'elle se refusait d'oublier, mais qui ne faisaient que rallumer sa hargne, à chaque fois qu'ils lui passaient en tête. Les couleurs du gouvernement, de leurs unités spéciales. Une bande de rustre, mélangeant protection du peuple et manipulation du peuple, pour les maintenir dans l'ignorance. Si on venait à trop en savoir, à contester un tant soit peu l'ordre établi, les "défenseurs" des innocents devenaient alors leurs bourreaux. C'était à eux qu'elle devait la perte de sa sœur...par deux fois.

Rien que de penser à ce que l'allégeance de son camarade d'un ancien temps pouvait signifier, elle avait perdu tout contrôle. Même si la plupart des clients du bar étaient des forbans de tout horizon, il y avait quelques personnes qui n'avaient rien demandé à personne, qui ne passèrent pas loin de la colère de l'orage. Elle n'y avait prêté aucune attention, elle avait eu besoin de relâcher une pression dévorante, qui l'aurait brisée peu à peu, si elle avait tenté de la contenir.

Alors que la poussière soulevée par son attaque commençait à retomber, dévoilant le triste spectacle dont elle était la responsable, la voix de Faust la fit sursauter, son cœur manquant un battement. Un soulagement l'envahit l'espace d'un instant, en comprenant qu'il avait réussi à survivre à son assaut démesuré. Peut-être s'était-elle retenue, à la dernière seconde..? Peut-être l'avait-elle sous-estimé. Serrant les dents, elle se passa prestement le poignet sur les joues, pour chasser toute trace de ses larmes. Hors de question de lui donner cette satisfaction, quand ils se retrouveraient de nouveau face à face.

- C'est plus mon nom...Hide est morte, y'a bien longtemps...marmonna la pirate, plus pour elle que pour autre chose.

Lorsqu'il s'extirpa, encore fumant, des retombées de la furieuse logia, celle-ci poussa un grognement bien audible, ses trais recommençant à se tirer, contractés par sa colère qui montait à nouveau. Ses émotions étaient en dent-de-scie, mais qui pouvait réellement lui en vouloir, vu celui à qui elle faisait face ? Il maîtrisait assez bien le Haki pour se protéger presque intégralement, apparemment. Ce n'était pas ça qui allait le protéger. Les ongles de la borgne s'enfoncèrent dans sa paume, écartant la peau, en faisant s'échapper des petits traits de foudre, dansant de manière belliqueuse.

Écoutant ses "explications", la manchote se sentit de nouveau bouillir. Elle se vit, clairement, étaler son poing de toute sa force, dans la petite gueule d'amour de son ami d'antan. Son corps, tendu de bout en bout, ne bougea cependant pas. Son regard pétillait de rage, planté profondément dans celui du chien de la marine. Une nouvelle émotion commença à poindre au coin de son œil, cette fois-ci emprunte d'une colère noire.

- Tu te fous de moi..? Demanda la bête de foudre, le poil hérissé, le bout des cheveux commençant à se soulever en crépitant. Tu crois vraiment que j'ai eu le choix ? Elle était PARTIE, Faust, DISPARUE ! Cracha-t-elle en hurlant. Même comme ça, je n'ai pas pu être assez rapide ! MOI ! Alors avec TOI ?!

Très honnêtement, tout aurait pu mieux se passer, si il l'avait accompagnée. Mais la mauvaise foi lui paraissait être un mal bien négligeable, avec ce qu'on essayait de lui faire avaler. Un maelstrom de sentiments contraires l'assaillirent dans un amas informe, oppressant, qui lui brûlait les orbites, tandis que son sang lui battait fiévreusement dans la tempe. Elle ne voulait pas qu'il s'approche. Elle ne voulait pas de son réconfort. Elle ne voulait pas se calmer, encore moins en retombant dans son aura réconfortante et tendre, qui la ramenait de nombreuses années en arrière.

Son Intuition, qu'elle avait encore du mal à "désactiver" par moment, ne détectaient que des ondes emplies d'une immense douceur, en provenance du marine. Il était honnête et n'avait aucune intention derrière la tête, à part celle d'apaiser la colérique rouquine. Cela manqua de lui faire baisser la tête, honteuse de s'accrocher autant à une colère qui pouvait paraître puérile. Mais elle savait que ce n'était pas le cas. Elle en avait vu, des marines, des agents du Gouvernement. Des fumiers, de toute espèce, de tous horizons. Si quelques naïfs, comme son ténébreux camarade, pensaient, au moment de leur enrôlement, qu'ils s'engageaient pour le bien de tous et la défense des opprimés, seuls les aveugles continuaient d'y croire, une fois la première année passée.

Faust avait beau appuyer sur les bonnes notes, actionner les bons leviers, elle refusait de l'écouter. Elle refusait de compatir avec LUI. Pas après que l'organisation, à laquelle il faisait maintenant partie, lui ait tant enlevé. Il avait beau parler de rêves, d'objectifs qu'ils partageaient tous les deux, il ne pouvait pas utiliser ces arguments. Pas en étant du mauvais côté de la barrière.

- J'ai pas besoin d'une laisse, pour ne pas pas être seule. Lâcha-t-elle sèchement.

Son poing se recouvrit d'une laque sombre, alors qu'elle sentait la fureur monter en elle. Il avait vraiment l'air de croire qu'il avait choisi la bonne voie. Que du bon pouvait ressortir de cette gangrène qu'était le Gouvernement Mondial. Bien sûr, elle entendait très souvent le nom de "Kirie", depuis qu'elle avait assumé cette nouvelle identité, en prenant le nom de sa défunte sœur. Toutefois, dans la bouche du Sakazuki, avec sa voix qu'elle ne connaissait que trop bien, il ne sonnait pas pareil, aux oreilles de la logia. Il était plein de nostalgie, de mélancolie. Mais elle ne pouvait pas se laisser submerger. Pas de nouveau, pas maintenant. C'était trop tôt pour y penser. C'était au tour de son courroux, de s'exprimer.

- Combien de gens tu as tué, juste parce qu'ils essayaient de survivre ? Demanda l'estropiée, furibonde, en portant sa main, gantée d'un noir de jais, sur son moignon.Combien de familles tu as ruinées, pour arriver où tu en es maintenant, hein ?! HEIN ?!

Bestiale, elle le foudroyait du regard, la mâchoire tendue. Sa main gauche commença à se faire repousser peu à peu, par le moignon qui commençait à gonfler, dans une masse d'éclairs sifflants. Son bras perdu reprenait vie, l'électricité se faisant de plus en plus dense, presque solide. Très vite, le manque de symétrie de la manchote sembla n'être qu'un vestige du passé. Malgré tout, on voyait bien que ce membre n'avait rien de naturel.

Composé de l'élément du Goro, les contours fluctuaient, laissant de petits arcs électriques s'en détacher par endroits, avant de revenir se fondre dans la masse orageuse. Au niveau de l'endroit où se terminait habituellement son moignon, des lézardes jaune vif couraient jusqu'à ses épaules. Depuis l'extrémité de ses doigts éthérés, un voile d'Armement commença à remonter le long de son bras reforgé. Stabilisant la création de la fruité, peu de chose pouvait différencier son bras droit de celui de quelqu'un de tout à fait normal, pour peu qu'il manifeste également son Haki. La différence première était que, sous le revêtement de nuit, le tonnerre grondait silencieusement, infusant le membre d'un violent courant électrique continu. Non content de pouvoir taser quelqu'un avec sans trop de mal, et sans qu'il puisse spécialement s'y attendre, l'intensité du courant était telle que tout son bras semblait comme chauffé à blanc.

- COMMENT TU PEUX ENCORE TE REGARDER EN FACE ?! Gueula Kirie, à plein poumons.

Utilisant toute la vitesse de son fruit, elle engagea une torsion du corps, pliant le genou en remontant sa jambe gauche fluidement, comme s'enroula et se déroula avec la fluidité d'un fouet, avant de s'abattre comme une poutre en métal, à deux reprises. Un premier coup violent coup de tibia dans le foie, suivi d'un high-kick en pleine tête. La vitesse fut telle que les deux attaques firent mouche en simultané, accompagnant l'impact de violentes décharges, courtoisie du "fulguro-fruit". Même pour un œil entraîné, il aurait fallu une attention incomparable, ne serait-ce que pour s'apercevoir que son pied avait quitté le sol. Lui n'était même pas en garder, ni même ne semblait sur la défensive. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.


Malgré tout, elle était bien loin d'en avoir fini. Elle ne comptait pas le laisser s'en tirer à si bon compte. Kirie avait appris d'un grand connaisseur de Iai et, à l'aide de son fruit, s'était mis en tête de maîtriser cette technique toute particulière, qui lui correspondait énormément. Une puissance écrasante, délivrée en une fraction de seconde, avant tout espoir de riposte. Bien sûr, elle était loin d'être parfaite, même avec les facilités que permettaient son fruit, mais elle était tout de même d'une efficacité redoutable. Sans que son vrai corps n'engage le moindre mouvement, une nuée d'éclairs fondit vers l'avant, pour enchaîner avec un violent coup de paume, à l'aide de son bras droit, remis presque à neuf.


Sa main s'enfonça dans le plexus du haut gradé, la posture basse de la jeune femme ayant pénétré en un battement de cil dans la garde du marine. Sans ménagement, elle imprima une rotation à son buste, faisant remonter tout son corps alors que son poing gauche montait dans un crissement assourdissant, visant sous le menton de Faust avec application. Terrible, éclatant, l'uppercut d'éclair noir percuta sa cible avec force et fracas, accompagné de tout le poids de la borgne, ainsi que de la puissance rotation imprimé dans son attaque.

Prête à continuer l'assaut, fulminante, Kirie laissait s'échapper une épaisse fumée de sa bouche, la femme bouillant de rage. Elle allait le briser en miettes. Le réduire en morceaux, comme elle l'avait été, après avoir tout perdu. Peut-être qu'à ce moment, il réussirait mieux à se mettre à sa place. Peut-être qu'après le voir au sol, en lambeaux, elle pourrait envisager de lui pardonner.

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