Levant les yeux vers la lune, Siam repousse le livre qu’elle était en train de feuilleter pour s’étirer. L’équipage était calme et Kirie devait sans doute être partie en ville si on en jugeait pas la fainéantise qui régnait sur les effectifs clairsemés du pont. D’éveiller, il ne restait plus qu’une poignée de Pélicans jouant aux cartes, dont les plus las fumaient en abattant leur main. Les gains de la partie de poker avaient fait le tour de la table sans doute un bon nombre de fois, si on en jugeait par le manque d’enthousiasme des parieurs. Bientôt, ils ne tarderaient pas à quitter leur poste de garde pour la moitié d’entre eux et ils tireraient leur remplaçant des hamacs de la soute pour reprendre leur place avec un plaisir quasi jubilatoire. L’archéologue leur souhaitait de savourer leur bonne nuit de sommeil, ils en auraient besoin quand la Divine reprendrait le large.

Quittant sa confortable position sur une caisse, la jeune femme pose une ou deux questions aux matelots avant d’aller voir Blue dans les cuisines. Le blond est afféré mais il salue la petite Greed avec humeur lorsqu’elle se faufile jusqu’à lui. Sur le plan de travail, la plume et la feuille raturée font penser à Siam que le cuisinier est en train de vérifier l’inventaire, signe que le départ était proche. Kirie, attirée comme un papillon par la lumière, avait eu vent d’un tournoi sur l’île voisine d’Octogonia et son énergie naturelle à la promesse d’un peu de castagne n’avait eu qu’à faire le reste. Les Pélicans, eux, étaient presque soulagé par cette annonce qui les libérait de l’entrainement pharaonique qu’on leur imposait et comptait bien profiter de ce temps de repos pour être aussi paresseux que jamais pendant que personnage ne les tenait à l’œil. Un bref échange entre l’archéologue et le marmiton plus tard, voilà la jeune femme chargée de rapatrier les camarades partis en centre-ville sur le pont. Généralement, c’était la capitaine qui s’en chargeait mais visiblement, cette dernière était aussi introuvable que le reste des têtes d’équipage.

C’est avec un soupir que la brune quitte donc le Wailing Blues en direction de la ville. Sans se presser, elle traverse le désert en regardant un peu partout dans l’espoir qu’une partie de l’effectif perdu à la taverne ait commencé à rentrer tout seul.  Un espoir vain, puisqu’elle ne croisa personne sur plusieurs kilomètres à la ronde, tout du moins jusqu’à ce qu’elle s’engage entre les très – trop – nombreux cactus qui entourait Whiskey Peaks.  

De tous les choses que Siam pensait trouver dans la forêt de cactus géants, un homme paumé n’était clairement pas dans la liste. Pelle en main, il s’active comme un beau diable au pied d’un des cactus non loin de la route. Une scène surprenante qui arrête la pirate vagabonde. Qui pouvait bien trouver un intérêt à creuser à une heure pareille ? Après réflexion, elle s’approche donc pour aviser de son état lorsqu’elle le voit à genoux. La brune connaissait la main lourde des taverniers du coin pour en avoir vu les effets sur Kirie : pour peu que le pauvre bougre ne tienne pas le rhum, ça pouvait tout à fait expliquer ce qu’il faisait au milieu de nulle part au milieu de la nuit.

Bien que de dos, il n’empestait pas l’alcool au point de se poser des questions sur sa sobriété. Pourtant, l’idée de voir un grand gaillard de sa stature courbée les mains dans la terre ne pouvait que porter à confusion sur son alcoolémie. L’éclat des braies et bracelets qu’il portait finissait de rendre à la scène cet aspect honteusement ridicule qui aurait pu faire douter n’importe qui de sa santé mentale. Que faisait-il donc ici au milieu de nulle part à creuser comme un possédé au milieu de nulle part ? Et était-ce bien une pelle qu’il venait de poser contre l’un des cactus ?

Ici, avec la nuit environnante, il était exclu d’user de sa méthode de petit papier pour communiquer et cela lui cassait fortement les pieds. Le nombre de gens comprenant le langage des signes se comptaient sur les doigts d’une main et elle n’avait personne pour assurer la discussion à sa place. Voilà qui s’annonçait coton, avec un fou pareil. Pour peu, elle renoncerait presque à s’intéresser à l’individu mais elle connaissait la fine équipe partie écumer les tavernes. Plus elle leur laisserait de temps, moins ils seraient enclins à râler sur le retour. Et il n’y avait rien de plus casse-pieds que les Pélicans, rond comme des culs de bouteilles, râlant pendant les quelques kilomètres de marche qui les séparait de la flotte de la Divine.

Sortant du couvert du caillou qui lui servait de couverture pour observer le drôle d’oiseau devant elle, Siam décide de finalement lui tapoter l’épaule pour le faire émerger de sa recherche frénétique de la terre seule savait quoi. Malgré la difficulté qu’allait procurer la nuit pour la lecture, elle s’accroupit à côté de lui et écrit dans la poussière du sol avant de lui désigner les deux grandes épées, fort peu discrètes, accrochées à son dos.

Si vous voulez de l’eau, il faut couper le cactus, pas creuser vous savez ?

Les yeux de Siam s’écarquille. Bonté divine ! Elle manque de laisser les mots franchir ses lèvres en regardant les mains de l’inconnu former le début d’une phrase en langage des signes. Un instant, la jeune femme abandonne son masque parfaitement contrôlé pour se réjouir sincèrement de ce qu’elle voit. Une énormité, quand on savait que la brune pouvait parfaitement user de sa voix si elle le désirait. Pourtant, elle ne put s’en empêcher. L’habitude d’entrer dans le rôle étriqué de la petite esclave muette lui en faisait prendre les comportements de façon bien plus marquée que normalement. Les personnes connaissant un moyen de communiquer avec ce masque était si rare que la satisfaction de tomber sur quelqu’un de plus futé que les autres la détourne aussitôt du cœur ultra kitch qu’il avait tracé avant de parler. La jeune femme se met à signer à toute vitesse en réponse, avant de s’arrêter et de rougir de honte devant le visage confus de son interlocuteur. Elle se gratte la tête, gênée, avant de reprendre sa phrase un peu plus lentement pour que ce soit plus compréhensible.

Un cactus légendaire ? Je ne veux pas être impolie, mais je crois qu’on s’est moqué de vous. L’idée que quelqu’un ait pu croire aussi facilement à ce genre de fable la surprend : il fallait une sacrée âme d’enfant pour tomber dans le panneau mais, après leur quelques jours sur place, l’archéologue pensait savoir d’où provenait l’histoire. Ce n’était pas la première fois qu’elle en avait l’écho, mais rien n’indiquait qu’elle soit réaliste dans les livres. Ses mains se remettent à bouger pour lui répondre, alors qu’elle secoue la tête pour refuser la nourriture. Siam. Et vous ?

Lorsque la brune contemple son air hagard devant les sandwichs partiellement dévorés, il est difficile pour elle de ne pas éclater de rire. La mine déconfite et interrogative, le grand gaillard et son diner volé sont aussi surréaliste que la scène sur laquelle Siam était arrivée. Etait-ce une sorte de comique ? Avec ses deux épées dans le dos, l’hypothèse était peu réaliste. Tout du moins, tout aussi peu réaliste que l’idée que ce soit un épéiste. Il était loin d’avoir l’aura de ces types, chargés de sang et de besoin d’adrénaline comme pouvait l’être Kirie parfois. Qui que fut le fameux jeune homme, il n’avait pas l’air plus dangereux que le cactus derrière lui et la mangeuse du Gura doutait qu’il puisse feindre une telle candeur. Même un enfant ne saurait ouvrir d’aussi grand yeux rond devant un gouter à moitié consommé.

Non, rien vu mais s’il était par terre, il se peut que la faune locale ait elles aussi eu un petit creux.

Elle avise vaguement de la morsure dans la collation et fronce les sourcils devant sa découpe en dent de scie. Ça aussi, c’était particulièrement peu commun. Elle observe derrière le drôle d’homme, suspicieuse, jusqu’à ce que ses yeux se baissent vers le sol. A première vue, rien ne semblait nouveau : le trou creusé à la pelle était large et sa profondeur raisonnable pour un creuseur de la carrure de la personne près d’elle. Mais jusqu’à preuve du contraire, les pelles ne mangeaient pas les déjeuners avec leur grande mâchoire en métal. Après une longue minute de silence, Siam finit par l’apercevoir. L’autre trou, beaucoup plus petit, faisait deux fois son poing de large. Après un temps, il s’avéra qu’il se répétait à d’autres endroits du creux formé par l’enthousiasme de Suiryu et la jeune femme secoua la tête avec un nouveau sourire. Il ne pouvait pas être aussi idiot, ça devait être fait exprès, elle ne trouvait pas de meilleure explication à cet adulte enfantin à l’air attentif mais boudeur dont le casse-dalle volé était devenu une affaire d’état en l’espace de quelques secondes.

Il y a des galeries de Fourmites un peu partout dans la zone. Il est possible qu’elles soient à l’origine de ce petit attentat alimentaire. Elle signe à nouveau, tranquille mais la lueur qu’avait allumé l’éclat de rire contenu continue de briller malgré elle dans son regard rosé. Que diriez-vous de retourner en ville vous chercher autre chose ? Quand elle voit qu’il fait mine de protester, elle enchaine. D’expérience, vous ferez de bien meilleures recherches le ventre plein et, n’ayant pas d’encas sur moi, il n’y a pas d’autre solution que de retourner à Whiskey Peaks

L’enjoignant une nouvelle fois à rentrer, la jeune femme tourne les talons en s’étirant pour chasser la fatigue qui commence à la guetter. Si elle n’avait pas sommeil encore quelques minutes plus tôt, la soudaine détente que venait de lui procurer sa crise de rire interne lui fournissait la détente qui lui manquait. Posant une main sur sa nuque, elle la fait craquer pour chasser la tension dans les muscles et commence à marcher en direction de sa destination initiale. Du moins, dans la théorie. A l’instant même où elle pose le pied pour décrire un troisième pas, le sol se dérobe sous elle. Ni une ni deux, la voilà suspendue la tête en bas comme un lapin dans un collet. Si elle avait pu se le permettre, Siam aurait juré salement. Elle le savait, pourtant, que relâcher sa concentration était inenvisageable pour un pirate. Rapidement, les scénarios catastrophe s’enchainent. Et si c’était un piège depuis le début ? Comment pouvait-on savoir qu’elle allait tomber dans le panneau foireux du mec paumé dans les cactus ? S’il comptait la dépouiller, elle n’avait de toute façon rien de véritable valeur sur elle. Une main agrippée aux pans de son kimono pour éviter qu’il ne tombe, l’archéologue utilise l’autre pour signer à l’attention de Suiryu.

Si c’est à vous, sachez que la blague est de mauvais goût.

Les yeux de la jeune femme se plissent. Avec la nuit, elle n’était sûre de rien mais son oreille ne la trompait pas. Une voix. Une autre voix. La silhouette d’où elle s’échappait n’avait rien de familier si ce n’est son air vaguement humanoïde laissé entrapercevoir par le contre lune. Elle l’avait clairement aperçu lorsque Suiryu coupait la corde, mais elle n’en était pas certaine. Les légendes parlaient parfois de cactus qui court mais ça pouvait tout aussi bien être un costume. Est-ce que c’était après ça que courait le grand gaillard ? Siam se dit que oui. Alors qu’elle allait commencer à signer pour expliquer ce qu’elle avait vu, le bruissement de dizaine de patte dans le sable l’arrête aussi surement qu’un train à grande vitesse. Décidément, voilà une situation bien complexe qui s’agence en l’espace d’une poignée de seconde.

Le regard de l’archéologue tombe sur le sandwich encore dans les mains du sabreur face à elle. Ni une ni deux, elle lui subtilise et se retourne pour le lancer au milieu des fourmites qui commencent à les encercler. Visiblement en colère, les insectes devaient certainement leur tenir rigueur pour la destruction méticuleuse de la pelle dans les très – trop – nombreuses galeries du nid. Quoi que fut l’ombre fugace de tantôt, ils avaient d’autres chats à fouetter présentement. Profitant du moment de flottement créée par la nourriture volante, la brune avise de la situation autour d’eux. Le paradoxe de la situation, c’est qu’elle aurait été plus en sécurité si elle était restée suspendue au-dessus de la masse grouillante des insectes. Il était urgent, pour leur échapper, de prendre de la hauteur mais étrangement, la motivation de la jeune femme pour grimper dans les cactus était, au mieux, inexistante. Mais avait-elle seulement le choix. Prenant une longue inspiration, Siam fait appel au Haki alors qu’elle signe un ordre à son compagnon d’infortune.

Prend de la hauteur.

Aussitôt, la jeune femme saisit une première branche et se hisse hors d’atteinte avec vivacité. Les aiguilles de cactus se brisent en heurtant la peau noircie mais, malgré tout, s’acharnent après les vêtements de la grimpeuse par vengeance. Après quelques péripéties et une série d’accroc dans le manteau si précieux à la demoiselle, Siam se hisse finalement au sommet de son cactus sans trop d’encombre. Elle fait alors signe à l’homme armé avec qui elle discutait il y a encore une poignée de seconde, alors que la marée d’insecte envahie la zone. Il ne faut qu’une toute petite minute à la horde pour réduire la pelle, grande oubliée de cette évasion, en charpie. Le spectacle tire une grimace à l’archéologue, qui se félicite d’avoir mis la main sur un abri avant qu’il ne soit trop tard. Silencieuse, elle reprend sa conversation là où elle l’a abandonné.

La rumeur de la taverne devait être un piège à touriste, il va falloir qu’on se tire de là et vite. Siam fait mine de réfléchir puis claque des doigts avec humeur. Quelle idiote. Comment pouvait-elle ne pas y avoir pensé plus tôt ! Auriez-vous de quoi faire du feu ? Normalement, ça devrait les éloigner un peu le temps qu’on puisse partir.

La jeune femme, bien qu’ayant un autre tour dans son sac, n’était pas décidée à en user. Le Gura était certes une réponse efficace à tant de chose mais si elle écrasait la reine à cause d’un glissement de terrain, les ouvrières n’en seraient que plus vindicative. Il fallait une solution en douceur, avant que ces dernières ne se mettent à ronger tout ce qu’elles pouvaient trouver dans la zone jusqu’à dévorer le malotru qui avait ravagé leur superbe cachette.

Une silhouette ou un mirage, qu’est-ce que ça changeait réellement ? C’est ce que Siam aurait pensé, si elle n’avait pas entendu le rire moqueur de l’ombre tarabiscoté découpée à gros trait sur la lune. Elle devait admettre une chose : si c’était un piège local pour dépouiller les moins futés, ils mettaient de drôle de moyen pour que la légende perdure. Avec un hochement de tête pour elle, l’archéologue accorda le point à son compagnon d’infortune. Puisque la curiosité était de mise, elle le suivrait pour cette fois. Les mousses n’en seraient que plus heureux et peut être moins apte à rentrer sur leurs deux jambes mais au moins, elle aurait vu un cactus qui court.

Ça et la singulière fumée violette qui venait d’être jetée droit vers les insectes en contrebas. Cette nouveauté renforce ton intérêt à grand coup de performance scénique. De la poudre et des explosions hein ? Ajouté à la course verticale, voici de nouvelles informations qui ravisse le cœur avide de connaissance de la jeune femme. L’inconnu, chargé de preuves tangibles, avait quelque chose qui mettait en branle l’avidité qui sommeillait en elle, aussi surement qu’on réveillait un piranha avec quelques gouttelettes de sang. Les coups de lames, clairs et précis, trahissaient l’expérience de leur propriétaire dans le maniement et l’absence totale d’alcool qui pourrait obscurcir ce jugement. A moins que ce ne soit le fameux combat ivre dont on lui avait mainte fois fait mention dans les virées de taverne, Siam pourrait mettre sa main à couper que son interlocuteur était parfaitement sobre. Une donnée qui la rassura sur sa propre santé mentale. Si rire il y avait eu, elle ne pouvait pas être cinglée si elle n’était pas la seule à l’avoir perçu.

Le spectacle explosif teinte la forêt de cactus d’une odeur aigre douce de poudre, sans doute due à la composition particulière de la fumée. Une nouvelle spécificité que l’avide Divine Greed note pour elle-même en avisant de l’équipement de son « sauveur ». Les bombes étaient-elles dans ses manches ? Un doute traverse la pensée aussitôt formulée : aussi serrées soit-elle, la jeune femme ne voyait rien qui puisse permettre d’y cacher quoi que ce soit. Dans ses poches ou autour de sa taille peut être alors. L’idée fit son bonhomme de chemin. Suffisamment pour que la curiosité l’emporte sur la sécurité.

Alors qu’une fourmite se redresse, repoussant le cadavre d’une camarade ouvrière calcinée au combat, la brune lui tombe sur le coin des antennes. La chute et le poids de la pirate ramène la pauvre bête tête la première dans le sable, face à un ninja plus satisfait de lui-même que jamais. L’élégance voulu que Siam applaudisse paisiblement l’exploit, avant de signer en réponse à la question laissée en suspens.

Allons-y, mais ne tardons pas. Je ne suis pas sûre de pouvoir vous ramener en ville si la faim vous rattrape. Elle désigne alors le sol, où des traces rondes, légèrement épineuses si on en croit les marques irrégulières qui en ornent les bords, restent paisiblement dans l’attente d’être découverte. On saura bien vite si c’est un piège avec des farceurs en déguisement ou un vrai cactus qui court.

Usant de la bestiole sonnée sous ses pieds comme d’un tremplin, la jeune femme se propulse à pieds joints vers les empreintes pour remonter la piste, les yeux grands ouverts et l’intuition toute entièrement tournée à la tâche, droit vers la grande forêt de Cactus. Si du moins, la lisière calcinée et maltraitée pouvait encore être appelée ainsi.

Une ombre passe dans le champ de Vision de Siam et, alors qu’un sursaut d’Intuition lui intime de se baisser, elle se sent tirée. Dans un sursaut d’héroisme, le jeune homme qui l’accompagne passe devant elle et la recouvre de son corps, comme si l’assaut devait nécessairement être décisif. La brune grimace en entendant les pointes se ficher dans le dos du grand gaillard qui lui bouche la vue et, en un éclair, le corps gainé par l’effort se ramollit. Une mauvaise nouvelle, d’autant que l’homme lui tombe dessus de tout son poids, incapable de se retenir. Le mécontentement latent de Siam se transforme en lassitude. Pourquoi diable continuait-on de la prendre pour une pauvre fille sans défense ?

L’exaspération soudaine lui en fait oublier la demi-mesure, alors qu’elle saisit son compagnon à bras le corps. Sans plus de cérémonie, elle bascule en arrière et, d’un coup de pied bien senti, utilise l’élan de sa chute pour faire tomber le ninja avec elle avant de l’envoyer dans le décor. Elle n’a pas le temps de se poser des questions sur sa santé, ni même de s’attarder à savoir s’il est vivant. Elle a senti quelqu’un. Quelqu’un de moindre puissance, mais quelqu’un d’assez malin pour inventer et utiliser un lanceur de fléchette enduit d’un poison de détente musculaire. Une menace manifeste qui, outre le fait de déplaire à Siam, semble tellement rodée qu’elle n’en est certainement pas à son coup d’essai.

Le paquet de Wa No expédié dans un buisson, l’archéologue roule aussitôt derrière le couvert des arbres pour prendre le temps de jauger la situation. Elle était clairement désavantagée : méconnaissance du terrain, peu de maitrise de la forêt, impossibilité de foncer directement sur l’adversaire, … Les moins s’entassaient dans son esprit avec la même vitesse qu’un érudit d’Ohara finissait autrefois ses pintes pour les enchainer jusqu’à l’inconscience. Un nouveau coup d’œil à l’endroit où se trouve le drôle de ninja qui l’accompagnait lui apprend que son mystérieux ennemi n’est pas resté sans rien faire durant la manœuvre : on pouvait compter une dizaine de nouvelles aiguilles sur le trajet du blond, comme un sillage moqueur de sa tentative d’héroïsme précédente. Les derniers mots, plus soufflés que véritablement prononcés, tournent, chassant les débuts de plans chaotiques de l’esprit de Siam. Poison. Une donnée somme toute simple, mais au combien agaçante.

La jeune femme se permet de laisser échapper un grognement contrarié avant de porter la main à son bambou. Une solution de facilité, certes, mais était-ce réellement important ? Y’avait-il un risque qui justifiait de l’utiliser ? Le poison, pour toute menace qu’il fut, ne pouvait se planter dans le renfort du Haki interne. Un ennui de moins sur le tableau bien trop grand des choses qui lui compliquait la tâche, mais c’était toujours ça de pris. Concentrant toute son énergie dans la manifestation de la laque noire sur ses portions découvertes, la brune s’empare de ses tonfas pour s’en servir de barrière supplémentaire. Comme disait feu sa génitrice, prudence est mère de sureté. La préparation achevée, Siam sortit du couvert rassurant des arbres, les yeux grands ouverts, sa vision et son observation toute tournée à la recherche de cet expulseur de fléchette de malheur.

La première salve qui accueille sa témérité passe au-dessus de sa tête. Les secondes s’égrènent et, présentant la deuxième, la Divine Greed disparait à nouveau derrière un tronc. Une pause, fugace, avant une nouvelle course, une nouvelle esquive et un nouvel abri. De quoi agacer le tireur, sans doute, qui s’était légèrement déplacé par rapport à la première attaque. Une manœuvre d’évitement, indiquant un esprit ou une habitude. Qui que fut la personne ou l’animal derrière les aiguilles empoisonnées, il n’en était pas à son coup d’essai. Elan. Attaque. Esquive. Cachette. Le balais commence et recommence, inlassablement et la durée du cache-cache s’allonge, alors que la lumière faiblit encore davantage à mesure que les deux adversaires se tournent autour sous les frondaisons. Le jeu continue encore, sans qu’aucun des participants ne prennent le pas sur l’autre. Les tirs deviennent peu à peu moins précis et, au fur et à mesure que Siam se rapproche, les aiguilles se clairsement. Le délai entre chaque volée, lui, grandit de manière rassurante. Homme ou bestiole, ses munitions ne sont pas infinies. Il ne reste, en définitive, plus qu’à retrouver ce petit enquiquineur.

Dans une ultime charge, la maitresse des séismes se rue en avant, balayant les fléchettes d’un grand revers de tonfa sans cesser sa course. Elle devait se hâter, avant qu’il ne bouge à nouveau. Son regard, perdu dans les ténèbres de la forêt, cherche une silhouette plus sombre ou un craquement de feuille trompeur mais c’est la vision qui finit par débusquer le petit plaisantin. Sa panique, perceptible, augmente en flèche lorsque la jeune femme corrige son élan pour venir le cueillir alors qu’il essaye de s’enfuir. Dos à elle, il n’a que le temps de glapir pitoyablement avant de recevoir un coup bien assené qui lui fauche les jambes. Basculé la tête dans la terre, un cri s’étouffe dans le froissement excessif d’un costume imposant et le fracas, plus intéressant, d’une arbalète d’un drôle de genre. Sans s’arrêter, la Divine Greed prend pied sur le malheureux et chasse l’arme qu’il tenait d’un coup de pied mesuré. L’éclat métallique de l’arme à poulie disparait dans les buissons, son propriétaire couinant de désespoir ou, peut-être, de douleurs suite à l’arrivée brutale des soixante kilos de sa proie devenue prédateur. Et il n’était encore, malheureusement, pas au bout de ses peines.


Le malotru privé de son costume de cactus à jambes et prestement corrigé, Siam avise de sa position dans la forêt, tant bien que mal. Bien qu’elle soit grandement satisfaite de sa stratégie, il lui reste maintenant deux problèmes majeurs à régler. Elle ne se souvient plus du tout où elle a envoyé le pauvre sabreur et, non contente de s’être enfoncée sous le couvert des arbres et autres cactus feuillus, elle n’a plus la moindre idée d’où se situe la ville. Avec un soupir résigné, la jeune femme fait craquer ses phalanges et s’étire pour délasser les muscles qu’elle a durement sollicité dans son exercice de la justice. Elle avait bien assez trainé, il était temps de trouver un trou sur le ciel nocturne et l’étoile du Nord, si elle ne voulait pas moisir ici plus longtemps. Et il fallait qu’elle remette la main sur l’autre ostrogoth aussi, avant de partir. Question de principe.


Lorsque le Ninja rouvre les yeux, deux petites heures plus tard, il est assis sur un tonneau, à l’intérieur de la petite ville de Whiskey Peak. La gueule pâteuse, il semble avoir du mal à se mouvoir, un peu comme si l’empoisonnement continuait de lui causer du trouble. Ou peut-être était-ce le coup, un peu trop hâtif, de Siam sur sa tempe qui le laissait encore pantois ? Avec une grimace, la jeune femme quitte le couvert de la rue, maintenant rassurée qu’il ne soit pas mort. Elle ne pouvait plus rien faire pour lui et, il trouverait bien assez tôt la petite lettre dans son giron. Le si fameux Cactus légendaire n’était qu’un attrape nigaud et il en avait fallu de peu qu’il ne se fasse détrousser pendant son exploration. Peut-être qu’il penserait que les deux bombes qui manquait à son inventaire étaient tombées sur la route, du moins l’archéologue l’espérait. Le pas tranquille, elle s’éloigne vers le Whaling Blues en regardant attentivement le fruit de son larcin. Il fallait absolument qu’elle trouve un moyen de les copier, peu importe leur composition.