La lune est haute dans le ciel nocturne. La mer englobe le Wailing Blues de sa plus jolie robe bleu sombre, pailletée d’étoiles. L’eau pétille, scintille et éclaire la coque du bateau d’une myriade de couleur qui laisse ses occupants pensifs. Le bruit du ressac sur la peau pâle de la baleine berce les rares matelots encore debout et oisif. Les autres savourent son rythme avec délectation en triant les cartes de poker qu’ils abattent à tour de rôle, tout comme leurs sourires naissent et fanent au gré du hasard. Les timbales chargées de rhum volent parfois, manifestation de désaccord bruyant qui causerait, demain matin, tant de soucis aux pauvres mousses pour chasser l’odeur d’alcool ayant abreuvé le pont. Les rires fusent, aussi, accompagnés d’une musique festive d’accordéon et de luth. Certains dansent même, camouflant le rythme des vagues sous le mouvement tapageur de pieds avides d’une valse endiablée. Tous à leur manière, ils célébraient le calme avant la tempête qui les attendait bientôt, aux faveurs du lendemain.

Assise sur la tête de Calypso, Siam a abandonné sa lecture pour se plonger dans les étoiles. Les contes et légendes de Little Garden en guise d’oreiller, elle trace en l’air la silhouette des constellations pour tromper l’ennui. Quarante-huit heures. C’était le décompte qu’elle tenait de ses veillées, trop perturbée par ses pensées pour réussir à fermer les yeux et sombrer dans la quiétude du sommeil. Comme toujours, l’archéologue pense trop. Elle passe à cette rumeur de taverne qu’elle a décidé de suivre. Elle pense à leur macabre découverte sur la plage de Whiskey Peaks. Elle pense à ceux qui ont vidés les lieux sans laisser de message. Allongée sous les étoiles, la tête brune serre les dents. Elle était en colère. Elle était triste. Elle était impatiente. Plus personne n’était là pour l’empêcher de n’en faire qu’à sa tête et Kirie, même si elle continuait à fanfaronner comme à son habitude, n’était visiblement plus aussi joyeuse qu’avant. Les deux plus anciens membres de la Divine présentes étaient plongée dans une humeur étrange, mélancolique. Une constatation qui force Siam à chasser le début de larmes qui perle au coin de ses yeux. Sans un mot, saluée par le chant d’au revoir de Calypso, elle quitte sa position à l’écart pour en gagner une autre.

Entre aube et crépuscule, l’archéologue se mit à errer vers le mat. Personne ne montait, puisque personne ne surveillait l’horizon pour l’instant. Une erreur stratégique, peut-être, mais le repos des troupes était primordial pour leur fonctionnement. Il lui donnait aussi, exceptionnellement, un recoin oublié pour se laisser flotter dans ses pensées. Coinçant sa lecture dans son kimono, la jeune femme entoure les cordages de ses mains puis se lance à l’ascension de la vigie. La hauteur qu’elle prend, lentement lui fait réaliser à quel point l’ampleur des travaux sur Calypso est gigantesque. Retrouver un charpentier était une urgence certaine, maintenant qu’un médecin était à nouveau dans les rangs, mais Siam n’était pas sûre de savoir comment elle accueillerait ce « remplaçant ». Maintenant que Gwaine était parti, que devait-elle faire ? Elle n’avait pas envie de partir, d’abandonner cette nouvelle famille mais comment pouvait-elle l’aider ? Chercher, fouiner, fouiller était accessible. Il y avait les ponéglyphes, bien sûr mais est-ce que c’était vraiment nécessaire à un équipage ? Le nouveau vide laissé par l’absence de cette présence continuelle lui laissait un goût amer, rehaussé par le murmure, persistant de cette génitrice indigne qu’avait été sa mère.

Tu es seule. Croire le contraire ne fera que te rendre plus faible et plus facile à atteindre.

En arrivant au sommet, la jeune femme embrasse la scène douce et tendre de la nuit sur l’océan. Whiskey Peaks est à peine un petit point à l’horizon, si bien qu’elle devine l’île et sa direction bien plus qu’elle ne les voit. Les bruits de ses camarades sur le pont s’étouffent avec la hauteur et cette fois, Siam respire à nouveau. Ici, elle serait tranquille pour regarder les étoiles. Chassant l’ombre tourmentée de sa mère, elle pose un premier pied sur la plateforme et se met à bailler en glissant son livre sous son bras. Le second pas, lui, vient effleurer un tissu chaud et inattendu qui fait lever les yeux au ciel à la jeune pirate. Adieu, moment paisible et solitaire, pense-t-elle en jetant un œil au corps allongé de tout son long devant elle. Débraillé comme à son habitude, il semble aussi plongé dans ses pensées qu’elle –même peut l’être. Un instant, la brune reste là, à observer le nouvel arrivant dans l’équipage, sans trop savoir quoi faire. La politesse voudrait qu’elle l’accueille mais elle n’en avait pas le cœur. Aussi se contente-t-elle de se poser à côté, sans trop s’approcher pour ne pas le déranger plus qu’elle ne vient de le faire.

Hey.

Le mot manquait de conviction, mais elle ne savait pas quoi dire. Ils ne se connaissaient pas. Elle n’était même pas sûre d’avoir réellement eu une discussion avec lui. Peut-être, peut-être pas. Souvent, elle répondait par-dessus les livres, sans regarder. Des quelques souvenirs qu’elle avait de son arrivée, elle n’avait retenu que deux choses. L’épée, difficilement oubliable dans son dos, et un prénom. Natto. Il était l’un des derniers ajouts récents, avec Ikki. Le silence posé sur la plateforme prenait des allures lourdes, gênantes. Siam regretta d’avoir quitté Calypso pour se rapprocher des étoiles. Et en même temps, pas du tout. Le hasard, s’il se jouait d’elle ce soir, permettrait peut-être au moins de chasser la mélancolie encore quelques heures, jusqu’à ce qu’un nouveau moyen soit offert à la brune pour continuer à fuir l’hébétude de la réalité.