Le Gouvernement mondial avait besoin d’hommes forts et de femmes vaillantes, pour se maintenir en cette ère de chaos. En dépit de ceux de la Marine, qui, malgré le charisme de Nobunaga et l’assurance qu’il semblait donner à ses effectifs, perdaient de leur ampleur sur certaines parties des mers, les rangs de la révolution s’agrandissait de jours en jours et les faits d’armes s’accumulaient. Xoth, la bête des profondeurs, la créature la plus puissante du monde, dévorait tout sur son passage, en transperçant les îles et les bâtiments de guerre comme une balle de fusil traversait un drap tendu. Luther constituait, en compagnie de son armée d’un million et demi de pirates, une véritable menace, capable d’annihiler l’Etat mondial en une offensive…

Tout ce qui constituait la base de sa structure, ses points de légitimation, ses institutions, sa force armée, s’étiolait, doucement, mais sans s’arrêter. Il fallait à tout prix trouver un moyen, une voie de secours, quelque chose vers quoi tendre…  Plus que jamais, les hautes instances de ce monde, celles qui le maintenaient en état de stase, avaient besoin de mains, de bras et de têtes pour les aider dans leur tâche ardue. Les vaillants soldats des bataillons de la Marine allaient devoir, encore et toujours, prouver leur valeur sur le front.


Après une brève convocation, faite sur le pied de guerre, le bateau du Contre-Amiral Sakazuki mouillait à présent dans les eaux qui environnaient le cortège gouvernemental pour assurer son affrètement jusqu'à Star-Top Nation. Une dizaine de navires, tels que le sien, ceignaient déjà la présence du gigantesque bâtiment de guerre, tout de noir vêtu, qui était censé porter le Hérault du Gouvernement mondial, également surnommé « Le sixième membre du Gorosei ». S'il était question d'un galion, la hauteur du bateau officiel faisait, presque, la taille d'une Drum Rocky, montagne caractéristique de l'île de Drum censée atteindre des sommets vertigineux. Les 7-mâts de ce mastodonte allaient se perdre dans les nuages de Grandline, et les vigies devaient sans doute communiquer par escargophones...


En se greffant, à la manière d'un poisson pilote sur le ventre d'un requin, à une aussi grosse machine, le bateau du Contre-Amiral allait être porté par l'aspiration du plus grand objet maritime. En bénéficiant des vents en poupe, sans souffrir du ralentissement des vents contraires, leur vitesse de pointe doublait, sans l'ombre d'un doute, et fort de cela, les navigateurs du Contre-Amiral allaient devoir régulièrement tenir la barre pour ne pas se retrouver, en cas de vagues ou de remous, entraîné sous l'eau par l'imposante charpente du bateau.

Sakazuki D. Faust arrivait en dernier sur les lieux, mais sa réactivité, plus que soudaine, et surtout, sa rigueur militaire, présentant une très généreuse poignée de soldats au garde-à-vous aux hauts-gradés les guettant depuis les hauteurs du bâtiment principal, avaient déjà fait leur lot d'impression. On ne pouvait rester indifférent face à autant de professionnalisme.

Dès lors, une kyrielle de bruits de couloirs allèrent se chuchoter de part et d'autres du navire principal... avant que la réception du salut du Lion Écarlate ne soit clairement manifestée. Un homme, visiblement gradé à en juger par les tailles des écussons que sa cape arborait et par les épaulettes qui tendaient les rebords de son veston, fit une apparition surprise sur le navire de Faust et de ses hommes. Il avait entamé un saut depuis les lointaines hauteurs du bâtiment, pour atterrir lourdement sur le plancher du pont principal, en détruisant quelques lattes au passage.


Son aura de puissance faisait frétiller l'échine des plus faibles. Il devait mesurer plus de 6 mètres de haut, et sa musculature débordait de chaque parcelle de peau libérée de son vêtement.

Son regard était durci par l'ébouriffement guerrier de ses sourcils. Des rides de tension, vraisemblablement contractées en permanence, fendaient son front en deux et venaient terminer leur course folle à l'entame de son nez. Son crâne luisant finissait d'ajouter du sérieux au personnage. Il n'était pas là pour blaguer.


Il fixa, temps par temps, chaque officier du navire, en prenant le soin de jeter un coup d'oeil aux grades et aux attributions de tous, sans mot dire. Puis, il se tourna définitivement vers son interlocuteur principal, les yeux impérieux, le visage ferme et fermé, avant de s'exprimer, en tenant le Contre-Amiral en joue du bout de sa grosse pogne poilue.

— Contre-Amiral Sakazuki ? Sans attendre de réponse positive de sa part, son identité étant notoire, il n'avait pas besoin de s'en enquérir davantage, il continua derechef. Vice-Amiral Hooker au rapport. Je suis chargé de vous escorter jusqu'aux bureaux de Sire Varnas. Veuillez dispenser, ici, et maintenant, les directives de stationnements à vos subalternes, puis me suivre.

Les cérémonies furent brèves, la mission avait déjà débuté depuis quelques heures, ils étaient en plein dans le vif du sujet à présent. Faust devait donner les bons ordres, non seulement car tout pouvait arriver, mais également car un supérieur le regardait faire. Il était doublement sous pression.

Qu'allait-il faire ? La panique n'était pas une option. Surtout pas.

Spoiler:

Trois consignes majeures avaient été prodiguées à l’ensemble des troupes : la première fut de préparer les canons, d’installer des hommes à côté et de rester attentif quant à une éventuelle attaque ennemie — humaine, bestiale, maritime… la seconde, quant à elle, beaucoup plus simple, fut de maintenir le cap, coûte que coûte et de ne pas s’écarter du gigantesque cortège qui suivait le bâtiment principal… et enfin, la troisième, directe et exécutive, fut de réparer les dégâts involontaires que le poids puissant du Vice-Amiral avait causé dans sa réception.

Il y avait plusieurs facteurs fondamentaux à prendre en compte lors d'une gestion de troupe : la vertu du commandant, sa capacité à prendre les choses en main, à se faire comprendre et respecter de ses troupes ; le terrain, le climat et la topographie et la stratégie, l'organisation et la pertinence des commandements donnés. Avait-il fait le tour de toutes ces données ? Était-il allé au bout de sa réflexion tactique ? Ses ordres avaient été simples, et évasifs, en somme.

Un déploiement précis des pièces disponibles, sur le potentiel champ de bataille, pour permettre aux officiers d'improviser avec plus de pertinence, aurait sans doute pu être confié, en supplément d'informations, à ses interlocuteurs. Pour Faust, cela semblait toutefois suffisant. Soit.

Les soldats les plus hauts gradés écoutèrent attentivement les dires du Contre-Amiral Sakazuki, et dans un échange mutuel de rigueur militaire, ils réceptionnèrent les informations pour leur faire passer en dessous.

Est-ce que la chaîne de commandement était solide ? Avait-il vérifié sa résistance ?! Il comptait en tout cas sur la personne du Capitaine Blake, l’un de ses hommes les plus expérimentés, pour la maintenir correctement emmaillée. D’un hochement de tête solennel, il avait acquiescé, en s’avançant d’un rang de plus en direction de son chef, lorsque son nom avait été prononcé. Le plus important était de fortifier, du mieux possible, la carapace de carlingue que formaient l’ensemble des navires rassemblés, et d’empêcher qu(o)i que ce soit de pénétrer sur le quartier général. Avant même que le Lion Écarlate n’avait eu à le signifier, la plupart des membres de la Sora no Sisha l’avaient déjà assimilé.

L’efficacité était une condition d’entrée dans ce régiment, qui commençait petit à petit à faire ses preuves dans les quelques lieux d’interpellation fréquente des paliers 1 et 2 de Paradise. Il n’y avait, donc, aucun temps pour le laxisme, aucun instant de dilettante, aucun moment d’oisiveté, dans cette unité – ou tout du moins, vraiment très peu. L’ambition que tous devaient nourrir, à leurs manières, était un carburant qui empêchait ce moteur fou de s’essouffler à la tâche. Contrairement à certains modérés de la Marine, cet équipage de 5000 hommes était une véritable armée, solide, ordonnée. Son potentiel sautait aux yeux.


Puisque son groupement de plusieurs petites caravelles et sa grande frégate militarisée se situaient à l’Ouest du cortège, son rôle stratégique était, assez logiquement, de surveiller et de protéger son flanc gauche.


Alors que tous s’étaient aussitôt attelés aux directives imparties, le Vice-Amiral qui venait de débarquer en avait également profité, pour bondir de nouveau, depuis le cratère de son atterrissage pour repartir de plus belle : jusque dans les hauteurs vertigineuse du bâtiment principal. Faust fut bien obligé de le suivre, et à la même vitesse, car on ne faisait ni attendre Hooker, ni patienter Varnas. Aujourd’hui et ici, toute requête était impérieuse, primordiale, elle demandait à être exécutée dans la rapidité et l’efficience, elle exigeait du professionnalisme. Sans patienter pour voir si son subordonné le suivait au trot, il traça, une fois atterris, en toute souplesse cependant, sur le parvis du bâtiment, jusqu’aux locaux gouvernementaux.

Les loges qu’ils visèrent, en marchant au pas de course, étaient brouillées par des passages innombrables de soldats, d’agents du gouvernement et de civils officiels. Il s’agissait d’une ruche d’hommes et de femmes importantes, totalement possédés par le devoir, par le travail qu’exigeait une place en ces hauts-lieux décisionnels, qui vaquaient à leurs occupations sans tenir compte du monde qui les entourait. En une espèce de bois foncé, style noyer, les cabines trônaient au milieu du navire, comme une cathédrale surplombait une ville pieuse, et de nombreux sous-bâtiments venaient en découler pour connecter certains couloirs, certaines saillies. Faust, que le Vice-Amiral avait pu nettement dépasser, eut la chance de pouvoir se perdre dans les pérégrinations mécaniques des différents passants, le temps, au moins, d’une fraction de secondes.


Les pas résonnèrent de plus en plus forts à mesure qu’ils pénétraient dans les offices, et qu’ils s’enfonçaient dans les entrailles du bâtiment. Un escalier large les accueillit, puis une allée interminable à traverser, pour enfin tomber de nouveau sur un autre escalier, plus escarpé, et, facétie, le monter jusqu’à faire face à d’énièmes marches en colimaçon. Le chemin semblait finir sur une porte blindée, verrouillée par de nombreux cadenas automatiques et gardée par deux lanciers nerveux, aux mâchoires bloquées.

Quelle ne fut pas la surprise du Contre-Amiral lorsque son supérieur, le gradé Hooker, poussa le pan, doucement, sans gestes brusques, puis rentra sa tête afin de recevoir une autorisation définitive à entrer, sans communication verbale, un banal « ok » d’un cercle index-pouce ou un hochement de tête affirmatif pouvait faire l’affaire… et une poignée de secondes après, la retira, lentement, pour convier l’invité d’un geste de bras strict à rentrer dans la pièce en question.



L'insistance froide que ses mouvements lents et crispés traduisaient, ne pouvait être perçue autrement : Faust devait franchir l'entrée de cette pièce. Lorsqu'il s'exécuta, il tomba nez à nez avec un homme... maigre, blond, une longue chevelure raide, peignée, assis dans un fauteuil capitonné aux petits clous, d'un feutre rouge bordeaux et aux dorures bariolées. Il se tenait là, en fixant, depuis un hublot, les remous de la mer, d'un œil bas, maussade, cerné par des bulles violettes de fatigue.

– Aaah… soupira-t-il, un regard en coin, comme absent, comme totalement affranchi des codes de politesses qui consistaient à saluer et à être salué en fixant son interlocuteur. Je vous attendais… Vous êtes Sakazuki, c'est bien cela ? Je suis Sire Varnas... D'un geste, il enjoignait le Vice-Amiral à déguerpir hors de sa vue, d'un autre, il terminait un verre à whisky, à fond rond, un peu noyé de spiritueux, qui s'évanouissait dans le creux de sa main. Une rasade, un cul sec plus tard, et il s'était déjà resservi. Il n'avait pas attendu la réponse de ce Sakazuki pour continuer sur sa lancée. L'homme est un animal surmené, un fruit pressé jusqu'au bout de sa chaire, de son jus... Et tout ça pour quoi ? Toutes les réponses nous sont données à la naissance, et on passe le reste de notre vie à les vérifier, vainement, idiotement. Laïus monotonique et autres élucubrations dépressives, le Contre-Amiral faisait face à une personne visiblement en mauvais état psychologique... dans une phase de complainte existentielle, sans réelle solution recherchée. L’homme est un animal qui accepte la mort, mais non l’heure de sa mort. Il est prêt à mourir n’importe quand, sauf quand il faut que l’on meure... Et je ne suis pas différent de mes semblables... Ses phrases étaient absconses au possible, teintées d'une couche d'opaque, de mati.

Le Vice-Amiral avait complètement refermé la porte d'entrée et se tenait à présent derrière, en renfort aux gardes déjà présents. Il s'agissait d'un des traits de sa personnalité : l'entraide. Après quelques poignées de secondes de battement, un regard attentif autour de lui, comme suspicieux, Varnas fit passer un petit papier à Faust sur lequel était clairement écrit : « aidez-moi à m'enfuir, maintenant », en apposant son index sur ses propres lèvres.

Le message était clair, mais savait-il à qui il s'adressait, au moins ?


Les premiers vigies, ceux qui s’avéraient être les plus aux devants de l’action, purent constater d’un œil inquiet, d’étranges vagues mousseuses poindre dans le crépi permanent de la mer, sans vraiment réussir à identifier ce qui se tramait à des lieues de leur position. Il devait bien y avoir plusieurs kilomètres d’eau salée entre cette manifestation mystérieuse et les croiseurs. Lorsque l’un d’eux, réellement préoccupé par les phénomènes, pourtant anodins in fine, qui se déroulaient sous leurs yeux, fut submergé par l’intrigue, il décrocha un escargophone, d’une main distraire, concentrée à guetter ce qui posait un problème, et commença à décrire ce qu’il voyait.


Très vite, le fait arriva aux oreilles du Capitaine Blake. Ils n’allaient pas tarder à faire remonter l’information à l’ensemble du cortège, mais comment comptaient-ils s’y prendre, dans le concret ? Devaient-ils appeler Sakazuki D. Faust, leur supérieur direct, en premier ou devaient-ils opter pour un message de groupe, d’un coup ? Après un temps de réflexion, qui fila comme une météorite dans un ciel étoilé, le vraisemblable second actuel du Contre-Amiral se décida finalement à faire appel à lui en premier.

La chaîne de commandement était fonctionnelle. Pour le moment.

Spoiler:

Un bruit sourd retentit au sein de la cabine du héraut. Avec autant de discrétion que faire se pouvait, Faust avait embarqué l'émissaire du Gouvernement suite à sa requête un peu spéciale, et avait filé en vitesse. Mais le bruit ne manqua pas d'alerter le Vice-Amiral, qui, se tenant devant l'entrée du bureau, sentit venir l'entourloupe. Il pénétra dans la cabine, constatant avec stupeur qu'il ne restait plus personne. Il s'élança jusqu'au trou béant à l'arrière de la pièce, et vit alors le Contre-Amiral s'envoler sur un bureau avec sir Varnas.

— Ici le Contre-Amiral Sakazuki. Des remous suspects ont été aperçus à l’ouest, soyez alertes. Une attaque du cortège est fortement envisageable. Je me charge personnellement d’escorter le Héraut jusqu’à Star-Top, veuillez, je vous en prie, couvrir nos arrières jusqu’à bon port.

— SAKAZUKI !!!

Grinçant des dents, les poings serrés, Hooker laissait exprimer sa rage. Comprenant très bien qu'il devait s'agir là d'une manigance de Varnas, il ne fut pas inquiété d'envisager un enlèvement, mais comprit plutôt que l'émissaire du Gouvernement ne s'estimait pas en sécurité ici, même malgré sa présence. De quoi vexer l'homme sanguin qu'il était...

— Attendez que j'vous attrape !

Mais ce n'était pas le moment de leur courir après. Pour l'heure, Hooker avait tout un cortège à prendre en main, et s'il y avait réellement une attaque envers Varnas, il valait mieux le laisser filer discrètement et se concentrer sur l'élimination de la menace.

Quelques instants plus tard, des coups de canon retentissaient. L'ennemi avait été identifié : il s'agissait d'un monstre marin ! Arrivé depuis les flancs gauches du regroupement de bateaux, celui-ci fut immédiatement pris pour cible par les tirailleurs. La bête se démena tant bien que mal, et parvint à causer quelques victimes après avoir assailli l'une des embarcations. Mais l'organisation des hommes de Sakazuki était telle qu'ils parvinrent à bout du monstre en quelques dizaines de minutes. Un laps de temps qui permit au Contre-Amiral de surfer loin, très loin en direction de Star Top sur son bureau, en compagnie de cet homme si fragile et pourtant si important, qui se cramponnait aux pieds du bureau de peur de tomber à l'eau.


Accostant finalement sur l'île destinataire, Faust et son héraut furent accueilli par un seul et unique homme. Un homme d'une grande carrure, tout de noir vêtu, un monocle ornant son oeil gauche, il était apparu comme s'il savait où et quand vous alliez arriver. Celui-ci se présenta à vous sans la moindre once d'hésitation.

— Sir Varnas, bienvenue à Star Top. J'espère que vous avez fait bonne route. Il se tourna vers Faust. Mes félicitations, vous avez mené votre mission d'escorte avec brio. Veuillez me suivre désormais, nous sommes attendus.

Il vous emmena à Morgan, la métropole urbaine et moderne qui faisait la renommée de l'île. Vous arriviez sur une place gigantesque de forme circulaire, sur laquelle des installations étaient en cours. Seule la scène principale avait été mise en place, avec ses loges à l'arrière. Loges dans laquelle le héraut devait rester discrètement, et dans lesquelles Faust allait continuer de l'escorter.

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