Au retour d'une quête mystérieuse menée à bien vaillamment, nous déambulions sur la plage d'Octogonia, arpentant les ruines qui parsemaient les dunes sableuses, les coeurs saisis. La journée avait été forte en émotions. Pourtant, en mon for intérieur, quelque chose bouillonnait. C'était comme si je n'avais pas eu ma dose. Les poings et les dents serrées, je suivais le reste du groupe en direction de notre flotte, amarrée non loin des côtes. Je restais derrière mes compagnons, la tête et les épaules baissées, sous le poids de la contrariété. Quelque chose n'avait pas l'air d'aller...

Au bout de quelques minutes, ma capitaine finit par se retourner, se demandant certainement ce que je faisais tout derrière. Face à sa moue interrogatrice, je fis mine de ne rien voir, et continuais de marcher sans me soucier de ce qu'elle pouvait bien dire, et traçais mon chemin les mains dans les poches. J'avançais ainsi, une minute, puis, deux, puis trois... Essayant de chasser ma frustration en shootant dans le moindre obstacle se trouvant sur ma route. Mais rien n'y faisait : plus j'essayais de la mettre de côté, plus mon inassouvissement revenait à la charge. Certes, je ne pensais pas sincèrement que la rouquine m'avait envoyé du mauvais côté de la grotte pour me voler les méchants à castagner. Toutefois, je ne m'étais pas remis de leur désactivation. Des ennemis puissants, qui se régénèrent, qu'on peut affronter à l'infini ?! J'avais enfin trouvé mon trésor archéologique. Et au lieu de ça, on les désactive, et on s'arrache, scellant leur cavité à tout jamais... C'en était trop.  

Tel une bête sauvage affamée, à laquelle on aurait agité de la nourriture sous le nez avant de la lui retirer, je m'élançais droit sur la capitaine foudroyante, mon impulsion causant une soudaine onde de choc contre le sol venant y creuser un petit cratère à mon ancienne position. J'avançais ainsi droit sur la borgne, droit dans les airs suite à un bond surpuissant, le bras droit armé en arrière, prêt à décocher une violente frappe. Durant mon envolée, j'avais amené mon genou gauche pointé face à moi, laissant échapper un fin filet de haki externe venant former un écran d'énergie m'enveloppant à la manière d'une aura protectrice, dont la forme pointue épousait celle de mon genou. La rotation en moins, c'était une véritable foreuse de haki qui chargeait en sa direction, tandis que Ikki et Siam, quelques mètres derrière elle, se rendaient en direction de Calypso, sans même se douter qu'un combat débutait dans leur dos.
 

Alors que l'équipage arpentait la plage, sous la douceur d'un coucher de soleil, leur aventure toute récente tournait, inlassablement, dans l'esprit de chacun. L'air de Siam, après avoir enfin rencontré une des clefs, du passé de leur monde, laissait la Capitaine pensante. Ils avaient frôlé la mort, à plusieurs reprises. La sensation désagréable et poisseuse, au creux de sa paume, ne cessait de le lui rappeler. Malgré tout, l'ambiance était plutôt réjouie. Les pertes étaient minimes, et bien que chaque épreuve les ait poussés dans leurs derniers retranchements, la Divine était ressortie grandie, ragaillardis de leur alchimie, leur complémentarité. Tant de choses, ayant permis à l'équipe de braver la mort, grâce à une cohésion harmonieuse.

Oui, tout le monde pouvait être fier. Tout le monde avait eu l'occasion de faire ses preuves, tout autant à ses propres yeux qu'à ceux des autres. Enfin, pas tout à fait... A l'arrière du groupe, le navigateur de contrefaçon Wanienne traînait les pieds, grommelait dans sa barbe. Effectivement... Il s'était fait désirer, jusqu'à la dernière minute. C'était sans doute ça, qui devait l'abattre. Après tout, même si la plupart des énigmes intellectuelles étaient loin d'être son fort, la salle finale lui avait donné tout ce qu'il fallait, pour la faire rêver. Un cadeau, fait à la belliqueuse estropiée, qui paraissait presque trop beau pour être vrai. Si il y avait bien une chose que partageaient Kirie et Natto, plus que toute autre, au sein de la Divine, c'était sans doute leur amour pour les combats dantesques, démesurés, tirés tout droit de vieilles balades ou de contes épiques.

Laissant Ikki et Siam continuer à avancer, elle s'arrêta, tout net, avant de se retourner, pour faire face à son nakama. Comment lui parler, et vraiment réussir à percer son mécontentement ? A le regarder avancer, mi-penaud mi-rageur, leur ressemblance était encore plus frappante qu'à l'accoutumée. Kirie avait déjà été dans cette même situation, plus d'une fois. Qu'est-ce qu'elle aurait aimé entendre, à sa place ?



Dans un silence gênant, Natto poursuivit sa route, sans rien dire. Visiblement, sa tentative de lui remonter le moral venait de glisser sur sa carapace maussade.


Décidément, elle avait donné plein de coups d'épée dans l'eau, au cours de cette journée. Littéralement, même, sur la fin. Toutefois, Kirie afficha un sourire serein, en se rappelant d'un point qu'elle avait survolé, malgré son évidence. Même pas besoin de son Intuition, pour savoir ce qui allait suivre, car elle avait tout simplement affaire à un Raiju. Le chien fou ne pouvait pas plus se mentir à lui-même qu'au tigre orageux. Aucun d'eux n'était du genre à reculer, devant un challenge. Bien au contraire, c'était ce qui les faisait vivre, le moteur qui leur permettait de continuer à avancer. Elle le savait, il le savait. Il ne manquait plus qu'il en prenne lui aussi conscience, et l'affaire pourrait rouler, sans mal. Comme la borgne s'y attendait, ça ne prit pas bien longtemps.


Tsk, tsk, tsk, mon bon Natto, pensa-t-elle. Comme tu pouvais être prévisible ! Bien sûr, elle aussi. Sans même percevoir son expression ravi, lorsque l'épéiste s'était soudainement jetée dans sa direction, avec une puissance impulsion, la jeune femme dégageait un empressement fiévreux. Elle se sentait coupable de l'avouer, mais elle aussi, avait besoin de plus. Désactiver les gardes de bois l'avait coupée dans son propre élan. Même si, stratégiquement, elle n'était pas mécontente de son action, celle-ci lui avait coûté plus qu'elle ne voulait l'admettre.

Le genou tendu, en se couvrant d'un bouclier perforant, le débraillé de la bande lui rappelait, encore une fois, pourquoi elle appréciait tant sa compagnie. Il était toujours partant, pour se mettre des gnons. Cette qualité, à elle seule, justifiait de sa présence à leurs côtés. Dans un mouvement fulgurant, elle esquiva l'assaut en se gardant une bonne marge de manœuvre, vers l'intérieur de la garde adverse, alors que sa jambe d'appui prenait la teinte de l'Armement. Changeant sa posture en pivotant, elle se reposa sur le pied droit, pour faire remonter son autre tibia, avec une torsion du bassin. Partant avec la vivacité et la souplesse d'un fouet, elle abattit son coup comme une chape de plomb, en plein sur le foie du guerrier. Elle avait profité de la différence d'allonge, accentuée par le genou replié du sauvageon, pour l'intercepter dans sa lancée, le couper dans son élan et rester à l'abri de son poing.

C'était toujours la même chose avec Natto. Si on le laissait imposer son rythme, on en venait vite à se mordre les doigts. Sa guibolle revint sur le plancher des vaches avec violence, la projetant vers l'avant, vers son adversaire, sans lui laisser le temps de souffler. L'épaule recouverte de Haki, elle chargea comme un bœuf, abritant son visage, pour éviter de se faire sonner par un contre vif. Aucune délicatesse, juste toute sa force, en plein dans les côtes, pour le faire ricocher au loin, sur le sable.

 

Intempérés, intempérables, rien ne semblait pouvoir nous arrêter. Cette longue quête avait éveillé en nous des instincts primaires, bestiaux, qui ne s'étaient pas suffisamment dépensés pour être endormis si tôt. Sur la même longueur d'onde, c'était donc avec passion que nous nous déchaînions soudainement. Loin d'être désarçonnée par ma charge, aussi soudaine et impromptue fusse-t-elle, la rouquine fit un pas de côté, visant à se dégager de mon axe. Parfaite réaction face à un adversaire avançant aussi rapidement vers soi. Sa réaction calme, flegmatique, trahissait sa confiance. Elle pensait certainement que j'avais chargé impulsivement, sans prendre gare. Elle n'avait peut-être pas totalement tort... Toutefois, elle semblait penser que, mu par l'émotion, mon offensive était irréfléchie, et sans aucun danger pour elle. C'est là qu'elle se trompait.

Cambré en arrière, le genou tendu, j'armais une violente droite plongeante, téléphonée au possible. Aucune chance qu'elle ne se fasse toucher par un coup aussi simple à anticiper, même sans haki de l'intuition. Et justement, ce coup n'avait pas pour but de la toucher. En effet, alors qu'elle effectuait un pas de côté afin de s'extirper hors de ma portée, j'avais, dans un timing douteux, donné ce fameux punch d'une grande lourdeur, avant même de l'atteindre. Le coup aurait même été donné trop tôt et aurait manqué sa cible si elle n'avait pas changé de position. Cela pouvait d'ailleurs accentuer l'impression d'un manque de lucidité du à la rage qu'elle croyait voir en moi. Ainsi donc, mon épaule droite avait roulé de toute son articulation pour donner un coup plongeant en diagonale vers la gauche, qui balaya malheureusement le vide devant moi, l'élan emportant mon buste dans une acrobatie aérienne d'apparence involontaire.

Mais en un instant, mon corps tout entier effectua une double rotation, sur deux axes. Non seulement avais-je basculé vers l'avant, à la manière d'un salto, mais en plus, je pivotai de droite à gauche. Le premier axe me permit comme de m'enrouler autour de son kick, mon buste passant par-dessus son coup alors que j'avais le corps plus ou moins à l'horizontale, pour finalement basculer de nouveau à la verticale derrière son pied, tête vers le bas. Le second axe de rotation me permit de me retourner, me retrouvant face au ciel au moment où mon corps était parallèle au sol. Puis, ma vrille se poursuivant logiquement, je ramenai ma jambe gauche avec férocité, afin d'envoyer un kick circulaire, arrivant par le haut. Ainsi, alors que Kirie terminait de déployer son coup de pied, c'était un revers du pied gauche qui venait la secouer en pleine tempe gauche, le coup bien entendu enduit d'une énergie noirâtre. Amplifié par ma vitesse et l'inertie apportée par ma double rotation, le coup avait assez de puissance pour renverser la capitaine sur plusieurs mètres en arrière.

Les hostilités étaient lancées, la rencontre s'enclencha, sur un accord tacite. La réponse à un besoin partagé, de s'enivrer de combat, de savourer cette violente drogue, qui leur procurait une joie sans pareille, leur faisait oublier les soucis qu'ils pouvaient rencontrer. Tout en les forgeant, pour les fois où ils n'auraient pas la possibilité de choisir, si ils souhaitaient croiser le fer ou pas. Par ces danses belliqueuses, dans lesquelles ils s’entraînaient souvent, l'un l'autre, Kirie et Natto entretenaient leurs griffes, affûtaient leurs crocs, pour le jour où ils représenteraient la différence entre la vivre ou mourir, pour toute la Divine famille. Certains les prenaient pour des insouciants, à tort. Le débraillé et l'estropiée, toujours à se foutre sur la gueule, jamais en train de s'arrêter pour réfléchir, avant d'agir, haha.

Ces imbéciles n'étaient pas des leurs. Ils n'avaient aucune idée, de la façon dont les rouages de l'équipage s'imbriquaient, pour faire tourner leur délicate machinerie. Aucune idée du poids qui reposait, sur chacun de ses membres, pour s'assurer de la sûreté de chacun. Les deux épéistes de la baleine blanche, véritable agités du fourreau, prenaient ça plus à coeur que n'importe qui. Ils n'avaient peut-être pas les connaissances de Siam ou d'Ikki, mais eux aussi, possédaient leur domaine de prédilection, non moins important que les autres. Pour toujours rester au top, il fallait s’entraîner, religieusement, sans relâche. Pour ça, le duo de pirates fonctionnait merveilleusement bien. Les deux compères savaient se pousser, l'un l'autre, toujours plus loin.

Contre le terrifiant électron libre, qu'était son navigateur frauduleux, la Capitaine était constamment obligée de se parfaire, d'évoluer, si elle ne voulait pas rester séchée sur son sillage. Imprévisible, réactif, débrouillard. Natto prouva une nouvelle fois l'irrégularité de son style, en feignant un coup manqué, pour initier une cabriole acrobatique, pour lui mettre un violent coup de pied marteau, en plein dans la tempe, avant même qu'elle ne puisse placer son kick. Heureusement que l'assaut arrivait du côté gauche, car sinon, même la rapidité du Goro n'aurait peut-être pas été suffisante, face à ce mouvement habile, qui pouvait décider à lui seul, de l'issue de la joute.

La réponse de Kirie se fit en deux étapes simultanées. La première, prolonger son Armement, qui avait déjà commencé à engloutir son épaule gauche, jusqu'au bout de ses doigts. De profil, elle abaissa son centre de gravité vers l'arrière, en déviant l'assaut à l'aide de son poignet, en réduisant fortement l'impact, avant de tourner la main, pour lui attraper la cheville. La seconde, elle, consistait à accentuer son mouvement de pivot sur son pied droit, tout en repliant au maximum sa jambe d'attaque, se cambrant en arrière le plus possible, pour pouvoir poser ses getas contre le flanc gauche de son assaillant. Sa rotation commençait à perdre en momentum, avant qu'elle ne délivre un grand coup de pied au sabreur, se servant de lui comme d'un point d'appui pour reprendre du mouvement. le poids du chien fou fit office de balancier, facilitant la reprise du mouvement giratoire de Kirie, dans le sens horaire, elle agita Natto comme une étoile du matin, qu'elle abattit violemment contre le sol, mélange de sable et de pierre.

Lâchant sa prise, la bête bondit en arrière, pour s'éloigner de deux mètres, pour se mettre hors de la zone de danger. Même si elle ne considérait plus, depuis bien longtemps, elle avait depuis longtemps dépassé le stade de test, en ce qui concernait son nakama flegmatique. Contre lui, elle pouvait se lâcher, être elle-même. Malgré son apparence, il était solide, le Natto. Pas vrai..? Elle pouvait se permettre de rétablir la balance... Voire la faire pencher de son côté, non ? Son moignon droit, en grinçant dans un crépitement d'éclairs, commença à retrouver sa gloire d'antan, sublimée par les spécificités du fruit fulgurant. Tandis que celui-ci pulsait encore, rageusement, l'éclairage de l'élément instable dansant sur le regard, conquis, d'une logia en plein émoi. Ça irait, même en allant plus loin. Il pouvait l'encaisser. Elle voulait se faire dépasser, pour pouvoir le faire à son tour, un à un, jusqu'à dépasser les plus grands, main dans la main.

Au niveau de ses épaules, deux masses orageuses commencèrent à s'étendre, rapidement suivies par une nouvelle paire, au niveau des omoplates. Peu à peu, les amas d'étincelles se réunirent non pas en un bras supplémentaire, mais en cinq. Leur densité augmenta, tout comme leur opacité et leur musculature, avant qu'un voile noir ne vienne unifier le tout, brûlant sous la férocité de la tempête qu'il devait contenir.


Désormais, les trous dans sa garde n'étaient plus. Elle n'avait pas osé tester ça contre les automates des souterrains, de peur de leur faire fragiliser la structure de la caverne, aménagée par les anciens. Maintenant qu'ils étaient à l'air libre, qui pourrait bien le lui reprocher ? Ce n'était que récemment, qu'elle avait pu mettre au point une version viable de cette transformation ésotérique, sans en venir à se gêner elle-même, ou à perdre en rapidité.



Une fois n'était pas coutume, elle lui laissait la main. A l'aide de son Intuition et de sa vitesse innée, elle ne se comptait pas se laisser devancer une seconde fois.

 

Perdre un bras était plus qu'une simple blessure. En perdant son intégrité physique, c'était une partie intérieure de soi qui se creusait également. La nature n'aimait pas le vide. L'esprit humain n'échappait pas à cette vérité. Pour palier à ce manque causé par la perte d'une fraction de soi, l'esprit pouvait créer l'illusion,
parfois de manière permanente, de posséder un membre fantôme. Ce vide se retranscrivait dans plusieurs paradigmes, comme celui du combat. Son bras droit en moins, c'était un trou béant qui s'ouvrait au sein de sa garde, ce qui, malgré ses capacités, venait lui apporter une faiblesse, si ce n'était sa seule. Heureusement pour elle, à cet instant précis, je n'avais pas encore été aspiré par ce vide. C'était comme si j'y avais résisté, pour une raison qui nous échappait, afin d'envoyer ce coup de talon d'une grande lourdeur depuis son côté gauche. Comme si, au fond, je souhaitais lui laisser l'opportunité de me saisir.


Je n'en avais peut-être pas conscience moi-même, mais je ne pouvais me résoudre à exploiter une telle faiblesse. Si c'était le seul moyen de la vaincre, alors je la vaincrai quand même sans. Ou j'en trouverai un autre. Telle était ma fierté. Sentant mon corps se réorienter, suite à la déviation de mon coup d'un revers du bras et de sa préhension, je profitai de la rotation de mon corps pour envoyer un puissant crochet du gauche sous les côtes, en plein foie, alors qu'elle levait encore sa jambe en repliant le genou. Arrivant pas le bas, dans son point mort, tandis qu'elle orientait son corps vers la gauche, le coup aurait fait mouche même malgré son bras droit. Une situation qui me satisfaisait...

Mon poing s'était revêtu d'une plaque d'énergie noirâtre, dissipant l'intangibilité de la femme pirate au moment de l'impact. Cette même énergie se diffusa au contact afin de causer quelques dommages internes, assez pour la destabiliser au moment où elle détendait sa jambe pour m'écraser contre le sol. Mon bras droit, toujours croisé devant mon buste, vint couvrir mon flanc pour parer, du dos de l'avant-bras, le kick visant à m'enfoncer dans le sable.


Le choc m'envoya bel et bien valser, mais pas avec autant de réussite que la borgne estropiée l'aurait sûrement voulu. Dérapant contre le sable sur quelques mètres, je me laissais glisser sur le dos, avant de finalement rouler en arrière sur le dos, pour terminer accroupi face à elle, prêt à bondir à nouveau. Mais celle-ci recula d'un seul coup. Elle semblait avoir une idée derrière la tête. Alors, intrigué, je me relevai lentement, et attendait de voir ce qu'elle me proposait.

— T'es prêt à devenir sérieux, Nattoooooo ?!!!

Incroyable. Le vide avait été comblé. Le membre fantôme était devenu réel. La chimère avait même apporté avec elle ses quatre frères, et tout à coup, la manchote passa de un à six bras. S'ils étaient éphémères, ils étaient malgré tout bien réels pour l'instant, et pouvait donc combler les vides laissés par ma garde. Ça devenait intéressant...

— Alors comme ça, t'as six bras ? Et bah moi, j'en ai huit !

Toujours prêt à surenchérir, me voilà en train d'agiter les bras à toute vitesse pour donner l'illusion d'avoir plusieurs bras. Bien sûr, ceux-ci étaient totalement faux, et la situation était tout à fait à son avantage. Toutefois, j'acceptais le challenge avec plaisir. Bondissant finalement dans sa direction, j'entamai une course à grandes foulées avant de soudainement disparaître de son champ de vision. D'un déplacement rapide, j'avais dévoré la distance qui nous séparait pour arriver sur sa gauche, me réceptionnant sur la jambe droite, le buste penché vers l'avant, et les "quatre bras" droits armés au niveau de la hanche. Faisant ensuite pivoter mon buste autour de l'axe de mon pied droit, c'était un quadruple uppercut qui menaçait de venir s'écraser le long du flanc gauche de ma capitaine, chaque coup étant donné dans un timing resserré pour maintenir l'illusion de simultanéité, visant successivement sous ses côtes, sous l'aisselle, l'épaule et enfin le visage.

— Gyaaaaah !

Depuis le premier assaut, une pensée saugrenue était venue à l'esprit de Kirie. Ce n'était pas le genre de son camarade épéiste, de faire beaucoup d'erreur, lorsqu'il s'agissait d'affrontement. D'un point de vue stratégique, sa pirouette aurait bien mieux réussi son coup, si il lui avait donné une trajectoire différente, pour essayer de la prendre de court... Après tout ce temps à naviguer ensemble, et ce dont il la savait capable... Est-ce que par hasard, Natto se permettrait de la sous-estimer ? De lui faire des fleurs, pour ré-équilibrer la balance ? Non, impossible. Le simple fait d'y penser fit naître une veine rageuse, sur le coin de sa tempe. Heureusement pour lui, la borgne n'avait pas encore le temps d'y penser, au beau milieu de leur échange prodigieux.

Comme une anguille, le fichu animal parvenait à se débattre, même en se faisant brinquebaler comme une masse. Il ne savait tout simplement pas comment abandonner... Au vu de sa position, la Capitaine n'eut pas le temps de parer, ni d'esquiver le coup merveilleusement bien placé de son camarade. Elle n'eut que le temps, dans un réflexe animal dû à son Intuition aiguisée, de recouvrir la zone visée d'une plaque sombre, pour atténuer l'impact au mieux, dans ces conditions. Non content de s'octroyer la première touche, il parvint également à bloquer la logia, pour minimiser ses propres dégâts. Incroyable. Tout bonnement incroyable.  

Elle n'avait pas réussi à imposer son tempo. Pas encore, tout du moins. Kirie comptait bien y venir, mais avant, il était impératif qu'elle lui retire toute possibilité de la sous-estimer. Un bras n'était pas suffisant, pour MÔSIEUR Natto ? Qu'à cela ne tienne, elle lui en proposa six ! Etait-ce assez, pour MÔSIEUR Natto ? Assez palpitant, pour MÔSIEUR Na...

— Alors comme ça, t'as six bras ? Et bah moi, j'en ai huit !

Non, il n'était pas prêt à devenir sérieux, le sauvage. La pirate aussi, prenait plaisir à l'affrontement, à l'opposition. Malgré tout, l'attitude désinvolte du navigateur, à son égard, lui courait parfois sur le système. C'était SON truc, à ELLE, de se permettre ce genre de démarrage progressif, sans trop se fouler. Ce constat l'enrageait et si elle avait dû être tout à fait honnête, c'était surtout à cause de l'inversion des rôles, auxquels la bête de foudre était habituée, que le sabreur arrivait si bien à permuter. Si c'était la façon dont elle faisait se sentir ses adversaires, de manière générale, l'estropiée avait, sans doute, de nombreuses excuses à faire, à tout plein de gens. Au moins, ça changeait la routine. On ne s'ennuyait jamais, avec l'escrimeur Divin. Alors soit, pour cette fois, la manchote aux six bras remplirait le rôle du challenger. Comme ça, elle le ferait descendre de sa tour, pour lui rappeler qui était le tôlier, en ce bas monde.

Sans la moindre crainte, Natto se jeta en avant, tout en continuant son petit tour de passe-passe. Tout ça, c'était bien mignon, mais elle ne comptait pas se laisser faire aussi facilement. Une partie de la rousse était simplement vexée. Celle-ci n'attendait qu'un "Olala Kirie, t'es trop forte !" de la part du combattant le plus sucré de son équipage, à qui elle avait encore l'impression de devoir prouver sa valeur, pour être reconnue. Aujourd'hui, elle comptait bien y mettre un terme, définitif. Prête à intercepter tout ce que pourrait lui envoyer son rival, elle ne s'accorda même pas un seconde pour cligner des yeux. Tendre ses sens, à leur paroxysme, pour prendre les devants. Coûte que coûte.

Si il venait, en frontal, il allait au-devant d'une bien mauvaise surprise, en se donnant ainsi, de manière à ce qu'elle n'ait plus qu'à le cueillir, au vol. Bien évidemment, avec lui, rien n'était jamais aussi simple. Intelligemment, il disparut, avant de se retrouver dans l'angle mort de sa Capitaine. Enfin, un peu de respect ! La borgne laissa son corps réagir de lui-même à la menace, sans le brider, le laissant se guider de lui-même, comme un ruisseau, à l'aide de son Haki de perception. Se pliant sur ses appuis, pour se rapprocher du sol, elle dressa un mur protecteur, empilant trois bras repliés, du côté gauche. Les coups s'abattirent comme des masses, qui lui coupèrent le souffle, en dépit du bouclier mis en place. Faisant battre la foudre au sein de son propre corps, elle excita ses réflexes, à l'aide de son Mantra partiel, ainsi qu'avec les propriétés de son fruit.

Sa garde encaissa un coup, puis un second. Si son contre n'était pas parfait, si son anticipation était fausse, ne serait-ce que d'une toute petite marge, Kirie savait qu'elle en paierait le prix. L'intercepter, trop tôt ou trop tard, ne lui permettrait pas de mettre son rival en mauvaise posture. Contre lui, il fallait prendre des risques. La douleur que provoquait ses poings, en la martelant, dessinait toutefois des points clairs, qu'elle n'avait plus qu'à tracer, pour comprendre sa trajectoire. Un coup dans l'épaule, et la rousse déplia ses mains à la vitesse de l'éclair, avant même que le dernier mouvement de Natto ne soit lancé, pour refermer trois jeux de phalanges, le long de son aile offensive. L'échange ne dura qu'un très bref instant, le tout se jouant sur des fractions de seconde. La Capitaine avait la joue déformée par le poing du brun insouciant, mais jamais négligent, qui faisait un bon pugiliste, à ses heures perdues.


Si elle n'avait pu empêcher le contact, la logia avait tout de même réussi à fortement amortir sa puissance, en attrapant l'attaque en plein vol. Ça lui avait coûté cher, tout ça... Mais désormais, elle le tenait. Resserrant son trio d'étaux gauche, en tordant ce qu'elle tenait dans des sens contraires, Kirie commença à faire rapidement tourner ses bras droits, tout autour de l'axe de son coude, converti dans son élément, pour lui permettre une meilleur amplitude de mouvement. La borgne tira Natto dans sa direction tout en pivotant le buste et les épaules, avant de le frapper violemment, de ses membres foudroyants, au niveau du plexus solaire, du foie et des côtes. Œil pour œil, dent pour dent, quitte à devenir aveugle et se retrouver obligée à manger de la soupe. Tel était le credo de la pirate. Trois coups pour trois coups, qui s'alignèrent sur le corps de l'épéiste, avant de gronder sauvagement. Toutefois... Il y avait des intérêts, qui s'étaient accumulés, à prendre en compte. Maintenant qu'elle avait une bonne prise et un moyen de lui couper un peu sa mobilité, elle ne comptait pas le lâcher de sitôt.


 

Kirie était aussi robuste qu'à son habitude. Il était rare de croiser des combattants aussi vifs, puissants, et agiles à la fois. Mais la guerrière de foudre était naturellement dotée de telles caractéristiques, et ce, même sans compter l'apport des capacités octroyées par son fruit. C'était une véritable lionne. Face à elle, je me présentais comme un jeune lionceau, pas encore tout à fait adulte, comme un véritable roi de la jungle, mais tout juste assez gros pour concurrencer son aînée. Avec moins de lourdeur, mais plus de vélocité. Plus d'insolence, mais moins de férocité. C'était, à la fois, deux personnes diamétralement opposées et totalement similaires qui s'affrontaient. Comme le yin et le yang qui s'entremêlaient pour laisser jaillir la vie.

Giclant avec ferveur, mes quadruples poings s'écrasèrent un à un contre le flanc de ma capitaine. Ce mouvement était issu d'une technique de sabre, remaniée pour être utilisée au poing. Elle consistait à ramener son bras à grande vitesse entre chaque pulsion, chacune étant exécutée de sorte à donner l'illusion que plusieurs coups étaient données en même temps. Mais la Colérique n'était pas dupe. Se laissant toucher, celle-ci se concentra uniquement sur la réelle position de mon poing pour me saisir le bras, m'empêchant de terminer mon geste. Puis, alors que je remarquais tout juste la résistance qu'elle apportait lorsque je voulus me remettre en garde, je pus voir venir la contre-attaque.

Mon coude gauche contre le flanc tandis que mon avant-bras se plaçait en travers de mon buste, couvrant ainsi toutes mes zones sensibles. J'étais prêt à encaisser, haki de l'armement actif. La borgne arma son trio de bras, tout en me tirant vers elle pour s'assurer que sa cible ne s'échappe pas, alors qu'elle déversait sa puissance monstrueuse. Mais dans le même temps, profitant de sa traction qui avait pour but de m'empêcher de fuir, je m'avançai soudainement, d'une impulsion sur ma jambe arrière, la gauche, et envoyai un puissant coup de boule en plein nez.

— Bang !

Je savais également encaisser pour mieux frapper. Ma rage de cogner étant supérieure à mon souci pour la douleur, une plus grande quantité de haki avait été déchargée dans ce coup frontal que dans la défense. L'impact avait même été suppléée d'une décharge de haki externe, visant à destabiliser la borgne, quand bien même elle aurait pu réduire les dégâts de quelque manière que ce soit. Mon bras gauche avait été sacrément amoché par ses trois coups, et il fallait que je reprenne le dessus. D'un coup d'un seul, je resserrai la prise que j'avais sur son épaule gauche, de mon autre poigne, avant de concentrer mon haki cette fois-ci sur le genou gauche, que j'envoyai en plein diaphragme.  

A peine l'impact se fut-il entendre que j'avais déjà ramené ma jambe gauche au sol, vers l'arrière, dans un mouvement faisant déjà pivoter mon bassin, de sorte à envoyer, dès l'instant où mon nouvel appui me le permit, un coup de pied circulaire du droit en plein dans les côtes découvertes de la capitaine, le dessus de mon pied venant même la saisir au niveau du muscle dorsal gauche, par-dessous l'aisselle.


Bien qu'il ne s'agisse là que d'un combat amical, ce déchaînement de coups et cette déferlante de haki étaient dangereuses, même pour une guerrière de la trempe de Kirie. Les coups s'enchaînaient avec fluidité, chaque mouvement étant entraîné par le précédent, comme si cette succession d'actions était vouée à se produire. Après tout, la nature avait horreur du vide. J'avais simplement été comme happé, comme aspiré par ce vide malgré moi.

Natto Natto Natto... Parfois, sa Capitaine venait à en oublier, qu'il était si jeune, lorsqu'elle le voyait sublimer son potentiel sur un champ de bataille. Ce n'était pas pour rien, qu'elle lui avait proposé de les rejoindre, après l'avoir sorti de sa captivité déplorable. Le jeune homme collait parfaitement avec leur famille, à laquelle il s'était intégré à merveille, c'était sans doute même celui qui avait le tempérament le plus proche de la belliqueuse rouquine. Pour eux, même sans penser à tout ce qui concernait leurs rêves, leurs objectifs et leur credo, qui passaient souvent par le combat, cet "art" était bien plus que ça. C'était une course, pour se parfaire, gravir des marches jusque là insoupçonnées, certes, mais pas que. Avant toute chose, c'était un hobby, une passion. Une addiction.

Chacun d'eux aurait pu déblatérer des heures, sur ce que représentait un "bon" affrontement, un adversaire valeureux, un challenge divertissant, la douce sensation de se retrouver acculé à un mur, pour finalement le détruire à grands coups rageurs, dépasser l'opposition... Mais à quoi bon employer des mots, quand on pouvait faire parler les poings ? Ils n’avaient pas beaucoup parlé, ces deux-là. Ce n’était pourtant pas rare, de les entendre l’ouvrir, pour ne rien dire, finalement. Toutefois, l’un avec l’autre, ils n’en avaient pas, ou peu besoin. Quand ils avaient quelque chose sur le cœur, ils le laissaient tout simplement s’exprimer. C’était plus sain ainsi, pas vrai ? Comme disait toujours celui qui lui avait appris à manier le sabre « Vaut mieux en dehors qu’en d’dans ».

Lorsqu'elle porta ses coups multiples, dans l'espoir de laisser un petit souvenir à son camarade, celui-ci en profita pour se propulser en avant, tendant son front, pour en prodiguer un coup brutal, recouvert de la laque noire du Haki. Grâce à la vitesse intrinsèque du Goro, elle n'eut aucun mal à se pencher en avant, afin de limiter la casse autant que possible, sans fuir. Son Armement était déjà étendu à l'extrême, avec tous ses appendices et le déplacer prit trop de temps. C'est donc sans son fluide, qu'elle encaissa le coup de plein fouet, subissant une violente secousse qui lui secoua le cerveau. Fort heureusement, étant donné qu'ils avaient tapé à peu près au même moment, ils avaient tous les deux amoindris les dommages reçus. La tête basculée en arrière, Kirie put tout de même apercevoir que son adversaire n'avait pas terminé, du coin de l’œil.


Puis, son genou se leva brusquement, pour s'enfoncer dans son diaphragme et lui faire cracher ses tripes. Kirie le vit très clairement, le ressentit pleinement, au cœur de tout son être. La vivacité du mouvement, la douleur que celui-ci infligeait... Allait infliger..? La scène se découpait sous son regard intrigué, au ralenti. Le genou était encore en train de se lever, fulgurant, pour la frapper de plein fouet. Profitant de cet étrange déjà-vu, sans se poser de question, le corps de la jeune femme sembla réagir de lui-même, mué par son instinct guerrier, alors qu'elle tentait encore de comprendre ce qui venait de se passer. La borgne ramena ses trois mains droites pour s'interposer sur le trajet du petit fourbe, tout en le repoussant de sa trajectoire, en le redirigeant de ses paumes.

Elle se retrouva toutefois obligée d'encaisser, mais en ayant grandement amoindri le choc. La belliqueuse rouquine serra les dents, rageuse en retirant, avant de laisser sa jambe gauche partir, avec la vivacité d'un serpent, tout en pivotant sur son appui, pour accentuer sa courbe et profiter de l'ouverture offerte par Natto, qui préparait déjà la suite. Elle resserra sa garde du côté gauche, au cas où il trouverait la force de continuer son assaut, en dépit de ce qu'elle lui réservait. Ce n'était pas très beau, mais sur un champ de bataille, il n'y avait aucune gêne à avoir. Le moindre moment de relâchement pouvait souvent signifier une défaite cuisante et, pour forcer son opposant à la faute, il ne fallait pas être effrayé de sortir quelque peu des sentiers battus.

Avec force et grâce, sa jambe s'éleva en adoptant une teinte d'ébène, en prenant le sabreur de vitesse, pour lui passer entre les cuisses, sans arrêter son ascension. Le mouvement était fluide, calibré pour prendre son adversaire par surprise, pour une punition terrible. Si elle venait à faire mouche, elle pourrait, pour une fois, métier son titre de Divine Casse-Couille, littéralement. Son tibia percuta une paie de valseuse. Une façon ironique, de poser ses couilles sur la table.


Son air vacant avait été remplacé par une grimace furibonde, alors qu'elle hurlait, la gueule grande ouverte dévoilant sa dentition sur laquelle dansait la foudre. Si elle n'avait pas eu recours à l'Armement, mobilisé par ses membres supérieurs, elle avait toutefois fait usage de son fruit, pour porter son coup avec une vitesse vertigineuse, ponctuant le lattage de bourses par un violent choc électrique, sans ménagement. Il fallait savoir profiter des faiblesses de ses adversaires, pour les mettre à genoux. Malheureusement pour l'épéiste, il en possédait une paire, qui risquait de lui rappeler cet affrontement un bon moment, si il ne trouvait pas un moyen d'en réchapper.

Sans rancune, mon frère, pensa la Capitaine, peinée pour son jeune ami.

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