- Eeeeeeeeeeeeeeeeeeet au violon! Alcoolique, grrrossier, brrrute mais aussi musicien de rrrenom: OLAF!

Debout sur la figure de proue du fier navire, un petit homme titubant, à la tignasse rousse bien fournie, se dépêcha de vider sa chope avant d'empoigner son violon et son archet. Une sobriété factice l'envahit alors et, comme porté par les notes qu'il visualisait dans sa tête, il se mit à jouer avec entrain, suivant le remous des flots qui berçait le bateau. Un tel don provenant d'un homme de si petite stature et d'encore moins de tenue semblait étonnant, mais il fallait bien lui reconnaitre ce talent unique. Les yeux fermés, parti dans un autre monde, il tourbillonnait à l'aveuglette, dans un équilibre plus que précaire, à la limite de chuter à chaque nouveau mouvement d'archet. Et la foule des non-humains du navire de se mettre à danser à ce rythme entêtant, enivré et ravis.

Depuis quelques semaines, l'ambiance était très chaleureuse à bord du navire qui, derrière ses apparences crasseuses, grises et industrielles, était une bête technologique d'un niveau impressionnant. La fumée collectée à la cale, issue de la consommation excessive de tabac de Wa et de Phlait, était aspirée dans un conduit afin de rejoindre une cuve, elle-même reliée à une seconde arrivée. Cette dernière approvisionnait la dite cuve en jus de bambou, découpé et pressé par des membres d'équipage au niveau de la cuisine. Rien ne se perdait ici et, dans un somptueux mélange digne des plus grands alchimistes, le bateau était propulsé, à la force de ces deux éléments combinés. Mais je me perds quelque peu dans l'admiration de ce petit bijou d'ingéniosité qui permettait à toute cette joyeuse troupe de se déplacer.

Joyeuse certes, mais pour des raisons qui échapperaient à de nombreuses personnes. Depuis 2 semaines et l'acquisition de ce fantastique transporteur (nous ne le répéterons jamais assez), ils n'avaient cessé de perpétrer massacres sur massacres, prenant la liberté d'agir en pleine lumière et sans aucune forme de subtilité. Ils étaient venus se faire les crocs sur cette mer faiblarde, le temps que chacun d'entre eux puisse récupérer son niveau réel en combat, la plupart des membres d'équipages étant à peine sortis d'esclavage un an plus tôt. Et désormais, dirigés par un panda de 35 ans déjà, véritable visage de leur mouvement protestataire extrémiste, il étaient connus comme le loup blanc et personne ne semblait pouvoir les arrêter.

- Beeeh-terre en vue chef!

La musique faiblissait peu à peu, alors que la chèvre qui leur servait de vigie, postée dans une drôle de position d'équilibre sur un bras, annonçait cette nouvelle. Lorsque le son ne fut plus qu'un murmure, à peine plus bruyant que le va-et-vient des vagues, une porte s'ouvrit dans le sol du pont principal. Plongée dans l'ombre, une silhouette se dessinait. Un filet de fumée s'échappait de la trappe, annonçant la venue de celui que le monde avait appris à craindre cette année, le Libérateur des Opprimés, le Grand Panda, le Châtieur d'Humains, le Rêveur: Wa Kandafo.

- Hmmmmm! Pourrr un rrréveil matinal, c'est un rrréveil matinal!

Baillant à s'en décrocher la mâchoire, une perle lacrimale s'échappant du coin de ses yeux, l'ursidé était enfin apparu devant le visage de ses compagnons, médusés devant ce spectacle, comme toujours. Il avait mérité son surnom après tout, et occupait son temps en tant que capitaine à dévorer des kilos de bambous et à dormir, une clope au bec. Bien loin de l'image dantesque et impressionnante que son aura laissait imaginer, il n'était rien de plus qu'un être fidèle à sa nature: mou et paresseux. Mais il n'y avait qu'une seule chose qui le faisait sortir de sa semi-torpeur constante et cette chose était l'odeur du sang humain. Cette même odeur qui faisait déjà saliver sa louve de seconde, elle qui rêvait déjà de planter ses crocs dans quelque chair bien rose, grasse et charnue. Ses appétits étaient souvent durs à satisfaire mais il fallait bien s'y plier.

A peine avaient-ils eu le temps de se préparer tous que le bateau avait déjà atteint la grève, se posant délicatement contre le sable qui entourait cette drôle de petite île. Tout le monde connaissait son rôle et chacun se chargerait de l'accomplir avec respect et sauvagerie. Le premier groupe, dirigé par Phlait Mar, la prédatrice à la batte, chercherait toute trace de civilisation humaine avec pour seule mission de les éradiquer. Une deuxième équipe, dirigée par la géante Amande, traverserait l'île au plus vite, à la recherche d'éventuels richesses ou danger dissimulés. Wa, quand à lui, partait cueillir quelques baies et se nourrir d'autres chose que de bambous. Il ne prendrait part au massacre que lorsque le messager lui serait revenu. En attendant, il fallait bien se ressourcer un peu.

La forêt était dense sur cette île et il n'était pas évident de s'y retrouver, ce qui convenait parfaitement au natif de Zou. Il ne se repérait qu'à l'odeur fraîches des myrtilles, framboises et autres mets sucrés qu'il rêvait de se mettre sous la dent, sans plus se soucier d'autres choses. Il était apaisé, tranquille, dans un élément qu'il connaissait par coeur. Ses narines frétillaient d'impatience, avant qu'elles ne sursautent d'un seul coup. Le fumet qui venait de lui passer devant le tarin n'était pas celui d'une baie, d'une fleur ni même d'un végétal. Pas celle d'un oiseau, d'un chat, d'un lapin ou d'un sanglier. Cette odeur il la connaissait par coeur et elle dessina un grand sourire carnassier sur son visage. Il avait de la compagnie, un humain de plus. Il allait pouvoir s'amuser finalement, même avant de passer au plat de résistance, il n'avait rien contre une petite mise-en-bouche.

- Sorrrs de ta cachette, je ne vais pas te dévorrrer.

Toi non, mais Phlait n'y rechignera pas. Menteur va.