Dès qu'elle commença à médire sur les produits du marchand, l'ambiance changea du tout au tout. Un léger sourire naquit immédiatement, sur les lèvres de la rousse, qui avait l'impression d'avoir réveillé quelque chose, chez le magicien. Celui-ci faisait de son mieux pour rester courtois, mais son corps ne mentait pas. Tout chez lui dégageait l'antipathie, de dégoût pour la pirate, qui avait visiblement touché un point sensible. Amusant. Peut-être qu'il y avait une raison, finalement, au malaise qu'elle avait commencé à ressentir, dès l'arrivée du singulier commerçant. Intriguée, elle se contenta de hausser un sourcil, avec un rictus satisfait. La logia était bien plus à l'aise qu'auparavant, après avoir réussi à fragiliser le masque fragile que le clown essayait de revêtir, pour adoucir le monde. La bête de foudre n'était pas dupe. En face d'elle, gigantesque, impressionnant, sournois, ce n'était pas un homme qui lui parlait, mais un serpent.

Malgré tout, à part un amour et un ego étouffant, vis-à-vis de ses propres stocks, l'estropiée n'avait encore rien de concret à lui reprocher. Cela paraissait plutôt normal, surtout à Whiskey Peak, mais quelque chose ne tournait pas rond. Une sensation désagréable, qui lui remontait l'échine, dès que le colosse posait le regard sur elle. Dès que sa voix sifflante cisaillait ses tympans. Il pouvait bien roucouler toute sa vie, Kirie n'avalerait pas ses couleuvres. Oui, en face d'elle se tenait un serpent.

Le tigre orageux, lui, commençait à avoir les crocs.

 

Coup bas, et pas forcément très recherché, de la jeune femme. Bien évidemment, elle n'avait pas vraiment connaissance d'autres fruits, mis à part le sien et ceux qu'elle avait déjà rencontrés au cours de son périple. Elle s'était contentée de jouer sur le rire étrange du boutiquier, pour chercher à l'énerver encore davantage. Elle voulait voir ce qu'il cachait. Elle voulait voir ce qu'il avait dans le ventre. Pour une raison étrange, même pour la colérique Kirie, l'envie d'en découdre avec cet jean-foutre la démangeait. Il semblait la regarder de haut, du haut de ses mètres vertigineux, et elle n'aimait pas ça.

Avant qu'elle n'ait le temps d'en rajouter, il lui colla un paquet de dragées dans les mains, qu'elle eut à peine le temps de regarder, rapidement poussé vers la sortie. Sans insister, elle le laissa faire, se permettant tout de même de glisser une dernière boutade, juste avant que la porte ne claque.

 

A la seconde où elle se retrouva de nouveau seule, son visage changea totalement de forme. Ses traits s'étirèrent, dans une grimace rageuse, alors qu'elle serrait férocement le sachet entre ses doigts. Pour qui se prenait-il, ce fichu escroc ? Si quelqu'un, disons un logia, doté de pouvoirs démesurés, venait à raser sa boutique, il ne faudrait pas venir se plaindre ! Le poing serré, elle leva le bras pour éclater le "cadeau" sur l'échoppe, avant de partir se passer les nerfs ailleurs, mais quelque chose l'arrêta en plein mouvement. Un bout de phrase, ténu, mais qui s'était découpé au milieu du bruit habituel de la ville.

" Idiots de gamins "

Rien d'étonnant, pour un véreux vendeur, mais il ne lui en fallut pas plus, pour s'intéresser immédiatement à la conversation. Sans un bruit, la curieuse pirate colla son oreille contre la porte, fermant son oeil pour tenter de percevoir le plus d'information possible. Le magicien était sans doute un pourri et plus il parlait, plus il donnait envie à la bête de foudre de lui coller une bonne rouste. Tout ce qu'il lui manquait, c'était une bonne raison. Un bon prétexte, pour lui démolir le portrait. Une perte de temps monumentale ? Non non, un service rendu à la société ! Pourquoi ? Elle ne tarderait pas à le savoir !

En réalité, Kirie avait juste besoin de trouver un moyen de tuer le temps. Siam vagabondait Dieu seul savait où, et elle, malgré tous ses meilleurs efforts, n'étaient pas plus avancée maintenant qu'à leur arrivée sur Whisky Peak. L'éthérée furie se sentait inutile, immobile. Tout simplement : Elle s'ennuyait. Depuis maintenant plusieurs jours, l'inconnu maquillé était sans doute le seul à avoir dégagé quoi que ce soit d'autre qu'une platitude morose. Elle suspectait avoir ferré un bon poisson et, n'ayant rien d'autre à se mettre sous la dent, ne comptait pas lâcher prise aussi facilement.

Un contact en ville. Death Monde. Écouler quelque chose. Le plus intéressant, qui fit briller la pupille de la Raiju, était la mention d'un incident récent, qui avait eu lieu, sans doute dans sa boutique. Lucer était-il passé par là, finalement ? Si c'était le cas, peut-être que son instinct était encore plus affûté qu'elle ne le pensait. Désormais, elle en avait bien plus qu'assez. Pour elle, en tout cas, qui voyait le monde sans énormément de nuance. On trouvait deux types de personnes, en ce bas-monde : Les bons et les mauvais. L'inconnu maquillé ne faisait pas partie de la première catégorie, mais il cachait quelque chose, sans le moindre doute.

Plus un bruit, si ce n'était celui de quelques pas, s'éloignant de sa direction. Si il comptait bouger sous peu, elle serait là pour l'intercepter. Quel besoin un confiseur pouvait avoir de parlementer avec ses collègues de Whisky Peak ? Ce n'était pas comme si l'endroit était si grand que ça, pour se permettre de revendre à l'unité, plus cher, des produits achetés en gros. En pleine réflexion, elle bondit vers le haut, s'envolant en un arc électrique, avant de reprendre forme sur le toit de la boutique, sans un bruit. Ainsi perchée, elle attendait qu'il ressorte, pour attendre que les deux hommes ne se séparent.

Posant le sac de confiseries à côté d'elle, elle en sortit un des bonbons, avant de l'examiner sous toutes les coutures. Elle ignorait ce qu'elle cherchait là. Un indice, quelconque. Un message, marqué sur une des faces lisses de la pastille bombée, comme si elle comportait les réponses aux questions qui lui inondaient l'esprit. La patience n'était pas sa plus grande vertu, et, sans plus attendre, la bête referma sa poigne sur l'amas de glucose, réduit en poussière, sous la force de son grip. La pirate comptait bien lui faire cracher le morceau. Il valait mieux pour lui qu'elle se fasse des idées, car si la fulgurante sabreuse aimait rendre SA justice, ceux qu'elle se décidait de châtier partageaient rarement cette position. Au bout d'une attente paraissant interminable, le magicien finit tout de même par s'extirper de sa boutique, jovial, remaquillé, manifestement prêt pour de nouvelles aventures. Elle hésita un moment à le suivre, pour voir ce qu'il manigançait, mais après réflexion, elle se ravisa.

Attendant que le géant soit hors de portée, elle se laissa retomber au sol, lestement, avec un sourire carnassier. Après une grande inspiration, elle leva la jambe d'un coup sec, pour frapper la porte avec un pied colérique. Le bois éclata à de nombreux endroits et la pauvre barrière inutile s'envola à travers la boutique, les morceaux de l'objet démonté éclatèrent des étagères remplies, dont le contenu se répandit bruyamment par terre.

Les griffes sorties, elle se rapprocha pas à pas d'un petit chauve décontenancé, qui semblait hésiter sur la marche à suivre. Accentuant son air carnassier, elle dégaina son wakizashi, lentement, en continuant de réduire la distance. Il n'était pas stupide et comprit assez vite que la visite n'avait rien d'amical, mais il essayait encore de jauger à quel point le danger était réel. Qu'à cela ne tienne, elle fondit sur lui sans plus attendre. Comme Kirie s'y attendait, le chauve acolyte du marchand, pas si innocent que ça, dégaina une arme à feu et, ni une ni deux, lui colla deux balles dans la poitrine et une dans la tête, pile entre les deux yeux.

Le corps de la jeune femme fut projeté en arrière, dans un crachin crépitant, avant de tomber lourdement sur le sol. Les tirs avaient été vifs, précis. Le chauve était entraîné, c'était clair comme de l'eau de roche. Le mystère commençait s'éclaircir quelque peu, même si d'autres questions s'y rajoutaient, simultanément. Au sol, la présumée morte laissa le gunner se rapprocher, avec tout de même une certaine précaution. Pedro se figea, lorsqu'un rire creux commença à emplir la pièce, provenant bel et bien de celle dont le cerveau aurait dû repeindre les murs.

 

La foudre commença à crépiter dans son dos, craquant le parquet de la boutique, tout en se condensant. Dans une explosion d'éclairs, elle se releva d'un coup sec, l'air complètement stoïque, remise sur ses deux pieds en un instant. Là où elle était couchée, juste avant, elle avait laissé un cratère fumant.

Rengainant son arme, qui n'avait été là que pour le coup de pression, elle reprit doucement son avancée. Sans réelle échappatoire, Pedro vida son chargeur sans répondre quoi que ce soit, peut-être en état de choc, peut-être juste au bout du rouleau. Elle aurait pu se laisser traverser, encore une fois, laisser les balles briser des carreaux, éclater des bonbons. Malgré tout, il ne fallait pas oublier que l'établissement était avnt tout là un appât à enfants. Il était hors de question d'essuyer des dommages collatéraux, surtout chez les plus jeunes, pour une simple histoire de coup de pression. Sans ralentir l'allure, elle fit voler ses doigts, avec habileté, rattrapant un à un chaque projectile. 3 mètres. 2 mètres. 1 mètres. Contact.

La logia observa le chauve, avant de tendre son poing vers l'avant, paume vers le bas. Ouvrant sa main, elle laissa retomber la pluie de balles, inoffensives, à même le sol, dans un bruit satisfaisant.


- Mais nous ne sommes que des confi...tenta-t-il, sans perdre une seconde.

Coupé en plein élan par le dos d'un poing, dur comme l'acier, elle lui brisa le nez d'entrée de jeu, le regard froid. Pas besoin d'Intuition, pour savoir qu'il mentait. Sans sourciller, elle répéta sa question. Ne récoltant qu'un nouveau mensonge, elle envoya lui envoya un coup de pied en plein visage. Sans se presser, elle passa ses jambes de part et d'autre de son torse, avant de s'allonger dessus, à califourchon. Impétueuse, elle leva le poing, avant de réitérer sa demande. Mensonge. Son poing s'abattit avec force. Nouvel essai. Nouvelle tromperie. Nouveau coup. Aucune pitié, pour la pourriture.

Continuant ainsi, religieusement, jusqu'à ce que le pauvre homme ne s'évanouisse, elle ne retira de lui aucune information supplémentaire. Le poing rougi par un sang qui n'était pas le sien, traîna sa victime inerte, pour aller l'adosser à un mur de la boutique. Pour faire bonne mesure, elle explosa ce dernier avec un coup de poing virulent. Dégainant son kiseru, elle l'alluma d'une étincelle. Même sans plus d'informations, de la part du crâne rasé, elle avait au moins pu affirmer ses doutes. Quelque chose d'étrange se tramait ici. La marine n'était pas habilitée, ni suffisamment intéressée, pour appréhender ce genre d'individus. Recrachant une épaisse fumée, les traits tendus par une rage endormie, qui ne demandait qu'à être réveillée, elle attendit le magicien. Patiemment. A côté des restes, du corps brisé, de son partenaire de crime.


 

Le magicien ne se laissa pas avoir par les remarques acides de la borgne, au plus grand dam de celle-ci. Elle esquissa un rictus rieur, quand il lui demanda ce qu'elle pouvait bien savoir des Fruits du Démon, sans rien lui répondre, cependant. Il aurait peut-être l'occasion de le savoir, bien assez tôt. Puis, elle se laissa sortir, sans demander son reste, mais refusant totalement de lâcher l'affaire.

Une fois le géant aux bonbons disparu, c'est Pedro, qui fit les frais de la malédiction de Kirie. Elle ne l'avait pas ménagé, même si elle savait très bien discerner la ligne entre un passage à tabac et un meurtre, le chauve n'avait rien lâché d'intéressant ou d'incriminants. Peut-être savait-il qu'elle n'oserait aller jusqu'à l'assassinat ou la torture ? En tout cas, son Intuition avait sondé inlassablement l'esprit du crâne d'œuf et celui-ci lui cachait définitivement des choses. Il parvenait à enrober la vérité autour de couches successives de semi-vérités et de faux semblants. Une bonne performance, qui aurait été capable de tromper bien du monde, mais la pirate n'était pas dupe. Elle avait beau ne pas avoir eu plus d'information cruciale, elle savait désormais que le duo de confiseurs cachaient quelque chose de répréhensible. Outre leur comportement suspect et l'arme à feu dissimulée sur l'homme en costume, personne n'aurait subi ce qu'elle avait infligé au pauvre homme, sans avoir des méfaits sérieux à se reprocher.

Alors, elle préféra attendre son collègue, qui se ferait peut-être plus coopératif, après avoir vu ce qui l'attendait, si il mettait la borgne de travers. Elle attendit un bon moment, en tirant négligemment sur son kiseru, qu'elle dut recharger à plusieurs reprises, en grommelant face à tout le temps qu'elle avait perdu. Les sens aux aguets, elle laissa le temps passer, comme un fauve, en recrachant d'épaisses volutes de fumée épaisse, qui se répandit dans la boutique en laissant l'odeur du tabac sec embaumer les lieux. Si la furie se serait sans doute jetée sans sommation sur le magicien, si celui-ci était revenu immédiatement, l'attente à laquelle elle se retrouva forcée lui permit de prendre un peu de recul et de réfléchir à la situation. L'effet Siam, elle appelait ça.



Si jamais les deux camarades étaient faits du même bois, alors, elle ne pourrait jamais leur retirer d'aveu, avec sa méthode habituelle. Taper en posant les questions n'avait pas marché... Il fallait trouver une autre approche. Elle retourna le problème dans tous les sens mais ce n'est qu'au moment où le maquillé gigantesque passa l'encadrement de sa porte défoncée, qu'une ampoule s'alluma dans son esprit. Elle le laissa approcher et prendre conscience de la situation, amusée par sa rage naissante et son incompréhension. Sentant qu'elle avait eu la main trop douce avec Pedro, qui revenait peu à peu à lui, elle lui écrasa la tête d'un coup de pied sauvage, qui lui encastra la tête dans le parquet. Sans répondre à Glorim, elle se contenta d'afficher un sourire carnassier, avant de disparaitre soudainement de là où elle se trouvait.


En une seconde, elle se retrouva au contact du magicien, le bras gauche armé, ayant pénétré sa garde au moment où son pied arrivait au sommet de son mouvement, pour le prendre de court. Son poing, recouvert du voile de sa volonté, s'abattit violemment dans le ventre du grand gaillard, juste au-dessus de son estomac et sous les côtes, avec la même fulgurance qu'elle avait déployé lors de son déplacement. De quoi emboutir son plexus avec force et, si elle avait bien calculé son coup, le projeter à l'extérieur de son magasin déjà en bien mauvais état. Usant de toute sa vitesse, elle avait également appuyé sa frappe de toute sa force, démultipliée par son énergie cinétique. Pas à pas, la bête se rapprocha de sa victime, sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits ou son souffle.



Faisant craquer ses doigts un à un, à l'aide de son pouce, avec une vivacité inhumaine, son aura de prédatrice s'amplifiait à chaque centimètre qu'elle creusait, entre elle et sa cible. Elle avait trouvé un jeu à jouer, tout en pouvant rester assez vague pour cacher le fait qu'elle ne savait pas vraiment de quoi elle parlait. Un coup de poker qui lui ressemblait bien, même si il restait plus fin que ce à quoi la borgne était habituée. Laissant la fureur prendre le dessus, pour lui étirer les traits, irradiant de colère, elle continua de lui mettre la pression, en le dominant malgré la différence de taille entre eux, profitant de l'avoir mis au sol pour accentuer son mètre quatre-vingt-dix et paraitre plus imposante.




La Colère Divine, en pleine Comédie, n'avait aucun mal à se prêter à ce rôle, qui ne déviait pas tant de celui qu'elle avait endossé, pour pouvoir protéger et guider sa nouvelle famille. Il ne fallait lui laisser aucune faille, aucune faiblesse exploitable, pour s'assurer qu'il ne tente rien. Il tenterait sans doute de lui cacher des choses, mais pas tant au niveau de leur illégalité que de ses revenus. Cacher la menace par une autre, qui lui forcerait à montrer un semblant de patte blanche.