L'affrontement se termine aussi brusquement qu'il a démarré. Malgré tout, elles restèrent toutes les deux suspendues dans le temps, les deux combattantes, encore sous une forte dose d'adrénaline, semblaient aptes à redémarrer à tout instant. Deux bêtes sauvages, lâchées, l'une contre l'autre...Forcément, il fallait s'attendre à des étincelles. Malgré tout, la tension commença finalement à retomber, leurs muscles se relâchant peu à peu, leurs corps pouvant évacuer le stress de l'affrontement, paisiblement. Déjà, Kirie pouvait ressentir les bienfaits de cette escarmouche, se sentant revigorée, alerte, vivante. L'air semblait plus frais, même au milieu de la poussière des ruines. Elle se sentait plus alerte, comme purifiée par la douce cure du combat.

Parfois, elle avait du mal à parler avec Siam. A un moment, il y avait eu quelques progrès, mais...Depuis la disparition de leurs camarades, depuis la perte de Caius...De Gwaine, surtout, les choses s'étaient un peu compliquées. C'était impossible de lui en tenir rigueur, bien évidemment, surtout pour la Capitaine, qui savait ce qu'elle devait traverser, mieux que quiconque. Pour ça, elle lui laissait son espace, à contrecœur, incapable de savoir quoi lui dire, pour tenter d'apaiser sa douleur. Parfois, lorsque la petite archéologue, ou bien sa Capitaine, avaient de la frustration à évacuer, elles s'adonnaient à des affrontements assez corsés, comme aujourd'hui.

Dans ces moments-là, même si elles ne discutaient pas forcément énormément, mais au cours de leurs affrontements, quelque chose se déliait systématiquement. La proximité entre les deux pirates se resserrait. La borgne devenait bien plus apte à ressentir le spectre, tout entier, des émotions de l'ancienne esclave. Sans un mot, sans question, ni réponse, elle pouvait canaliser sa rage, partager sa peine. Même ce combat-ci, bien que largement plus bourrin qu'à l'accoutumée, malgré la finesse qui accompagnait toujours la jeune fille aux séismes, avait eu lieu comme ça, car elles en avaient toutes les deux besoin.

Malgré tout, la brune ne semblait pas satisfaite, le compliment de Kirie lui glissant dessus, comme la rosée du matin sur les pétales d'une rose, fanée par les calamités. La manchote plongea la main une nouvelle fois dans les pans de ses vêtements, pour y dégoter son kiseru, fort heureusement indemne. Pensive, elle le cala dans son bec, le faisant gesticuler de droite à gauche, réfléchissant à ce qu'elle pouvait bien enchaîner, après ça.



Un ange passa, le temps que Siam se fasse de nouveau décente, sous le regard attentif de la borgne. Elle laissa sa nakama se rapprocher, avant de se poser à ses côtés. Avec un air satisfait, la bête de foudre tourna son visage vers le ciel, fermant sa paupière en laissant les rayons percer petit à petit, pour venir lui réchauffer l'épiderme. L'archéologue se laissa tomber, et elles se retrouvèrent toutes les deux côte à côte, dans un endroit bien silencieux, après la pétarade de l'affrontement, qui avait fait rage un moment, avant de disparaître.

Prise de court par la pique de la lectrice de ponéglyphe, l'estropiée s'esclaffe de surprise, quand elle mentionne le kimono, émietté aux quatre vents. Son rire ne dure pas bien longtemps, finissant sur une touche un peu nerveuse, alors que l'élémentaire réalise ce que cela signifie. La toute première chose qu'elle ait donné, à cette fille aux chaînes brisées, après que le vêtement lui ait tapé dans l’œil. C'était à l'occasion de leur toute première escale, arrivée bien vite, le vent de la liberté gonflant gaiement leurs voiles pour les emmener sur une voie nouvelle, où toutes les possibilités s'ouvraient à eux.

Le vêtement avait connu le même sort que cette époque. Brisé, déchiré. Grand Line n'avait fait aucun cadeau et le kimono, lui, était l'un des derniers souvenirs d'un passé désormais révolu. Une route déjà sinueuse, qui s'était effondrée sous leurs pieds naïfs, pour les précipiter dans un gouffre, paraissant sans fond. Il en fallait plus pour les abattre. La vie avait endurcie les rescapées des Cercles. L'expérience de la passivité leur avait appris une chose : Ça ne servait à rien. Se morfondre ne ramenait pas les morts, se haïr ne portait aucun fruit. La tristesse et les regrets prenaient alors souvent les couleurs de la fureur.

Toutefois, les blessures étaient toujours bien présentes, déchirantes. Peu importe combien de fois elles auraient préféré s'écrouler, elles tenaient bon. Elles mettaient toujours un pas devant l'autre, avec une détermination sourde, qui embrasait l'air sur leur passage. Elles ne tomberaient pas, elles ne pouvaient pas se le permettre. Pour leurs plaies, il n'y avait qu'un seul onguent, la vengeance. Pour leurs cœurs, il n'y avait qu'un seul remède, la justice. Si elles n'avaient pas avancé dans leurs recherches, les pirates restaient tout de même à l’affût du moindre ragot, du moindre renseignement.

Lorsque Siam brisa le silence, avec la question fatidique, qui avait si longtemps plané au-dessus de leur tête, Kirie remarqua tout juste que le silence s'était installé, plus tôt. Bon. Elles en étaient là. Faisant claquer sa langue contre le bois de son kiseru, elle le l'emplit de son mix, l'allumant avec une étincelle au bout de son doigt, avant de relever légèrement la tête. Où sont Nymphea et Lucer ? Bonne question. Bonne question, Siam. Aucune idée, Siam. Aucune idée. Envolés. Ça, c'est une sacrée colle, si il en est.

La rousse n'avait pas besoin de se retourner, pour sentir la larme couler le long de la joue de l'archéologue. Combattant les émotions qui tourbillonnaient en son sein, la logia prit une grande inspiration de fumée, qu'elle conserva un moment, avant de la recracher dans un long et lourd soupir de soulagement, chassant sa propre indécision.




Le dire à haute voix paraissait si dangereux, si risqué. Cette déduction optimiste ne tenait à rien de tangible et elle paraissait si frêle...Même pour la Capitaine, qui tentait de garder la tête haute, c'était un espoir qui si fragile, si friable, qu'on aurait même de la peine à le prendre au sérieux. Où sont Nymphea et Lucer ? Capturés. Où sont Nymphea et Lucer ? Torturés. Où sont Nymphea et Lucer ? Bien au chaud, quelque part, coupables..? Prenant une nouvelle inspiration, en faisant rougir la braise incandescente au bout de son calumet, elle prit une seconde, puis deux. Puis, une petite poignée, avant de se décider à couper le silence au hachoir.



C'était un sujet assez dur à aborder, mais la borgne préférait largement l'angle "Nymphea/Lucer", plutôt que le second, bien plus épineux, qu'était "Caius/GWAINE". C'était sans doute pour ça, qu'elle ne voulait pas considérer la Gourmandise et la Luxure comme des traîtres, qu'elle écartait immédiatement cette pensée, dès qu'elle surgissait dans son esprit. Le Lézard et l'Orage avaient beau avoir leurs différents, ils s'étaient tous les deux alliés d'un commun accord, pour mener leur équipage tout au long de leurs voyages. Sain et sauf. Toujours.

Ensemble, ils avaient combattu. Ils avaient ri. Ils avaient bu. Ils avaient gueulé, aussi. Souvent, même. L'index et le pouce de Kirie vinrent se poser à la naissance de son nez, entre ses deux orbites, qu'elle massa avec application. Les deux larrons qui avaient sauvé Calypso avaient un passé assez flou, mais comme chacun d'entre eux. C'était sans doute ça, qui avait fini par les rattraper. C'était sans doute ça. Leur seul crime devait être de ne pas les avoir suffisamment informés. Autrement, elle ne savait pas ce qu'elle ferait. Il avait juré de les protéger, lui aussi, après tout.




Le cœur lourd, elle sentit une barrière l'empêcher de se confier. Le désastre qu'ils avaient vécu avait fait également fait ses ravages, même chez l'incarnation de la tempête. Malgré tout, elle avait parfois ressenti un odieux soulagement, en repensant à tout ce qui avait eu lieu. Sur ce qui paraissait être un concours de circonstances, Siam et Calypso n'avaient pas eu à affronter le moindre danger. Entre la disparition des uns et la mort des autres, le sentiment qui la submergeait le plus n'était rien d'autre que le réconfort que rien ne soit arrivé, ni à l'une, ni à l'autre. Cette sensation égoïste la rongeait de l'intérieur, car en contrepartie, elle savait la douleur que cela avait provoqué, chez sa camarade. Elle tenait à chacun de ses membres, mais c'était l'ancienne esclave, qui l'avait libérée des chaînes qui l'opprimaient. D'une simple négation, c'était Siam, qui avait remis en marche le train de sa vie.

Sans la jeune femme pour l'ancrer à la réalité, la centrer dans ce moment de détresse, elle aurait sans doute été totalement incapable de se contrôler. Elle aurait fait pleuvoir la foudre, pour avoir des réponses, brulant la bougie par les deux bouts, avant de s'éteindre peu à peu, sans doute pas plus avancée qu'elle ne l'était, aujourd'hui. Où sont Nymphea et Lucer ? Ca ressemblait étrangement à la question qu'elle s'était longuement posée. Où est Kirie ? Un étau d'acier comprimait la poitrine, la faisant trembler de part en part. Jamais elle n'avait abordé son passé, jamais elle n'avait demandé à Siam l'origine de son fruit, de son bambou ou encore de sa servitude d'antan. Maintenant qu'elles étaient toutes les deux fragilisées par un coup du sort, c'était sans le moindre doute le pire moment, pour lui parler de ce qui avait fait de "Kirie" ce qu'elle était désormais.

Lui apprendre que ce n'était pas la première fois, qu'elle faillissait à la tâche. Pas la première fois, que même le foudre avait dû assister, impuissante, à un résultat morbide qui la dépassait, malgré sa fameuse vitesse. La gorge nouée, elle pouvait sentir ses orbites bouillonner, mais se contenta de serrer nerveusement la mâchoire. Puis, une nouvelle bouffée, qui lui imprégna son corps, remontant imbiber son cerveau d'une lente et molle caresse. Maintenant qu'elles comptaient leurs os, broyés par le destin, c'était peut-être le seul moment, pour lui en parler. Elles ne trouveraient pas de réponses à leur problème, aujourd'hui, mais pour changer les idées de l'avide de connaissances, elle avait encore quelques secrets, cachés au fond de ses manches.



Avec un sourire tendre, elle fit battre sa paupière à plusieurs reprises, avant d'y porter la main, pour cacher la naissance de quelque fuite liquide, qui était sans doute la cause de la fatigue, d'un bâillement. Rien d'autre. Elle y pensait couramment, à sa petite sœur, à sa vie d'avant. Ça ne la quittait jamais. Pourtant, elle se replongea réellement dedans, pour la première fois depuis...Combien de temps ? Des mois ? Des années ? Tant de temps, dans l'omission. Pourquoi ? La peur d'être jugée, peut-être. La peur de les perdre, eux aussi, sur des erreurs qu'elle ne pourrait jamais réparer.

Malgré tout, elle semblait comme étinceler, sa peau laissant onduler de petits renards électriques, sans le moindre relief, tout le long de sa peau. Les bêtes de foudre miniatures étaient semblables à celles qu'on pouvait trouver, sur le Wakizashi qui lui ceignait les hanches. Dans sa tête, la question qu'elle n'avait pu terminer ne lui avait pas semblé bizarre, elle n'y avait même pas réfléchi plus que ça. Pourtant, au moment de la concrétiser à l'oral, elle buta sur un terme, lourd de sens, mais qui lui paraissait parfois bien anodins, à force de l'entendre tous les jours, sans cesse.

Cette question laissée en suspens, alourdie par sa signification, traîna un moment, manquant de disparaître à tout jamais. Question rhétorique, plus que n'importe quelle autre.

Siam finit la phrase de sa capitaine avec morgue. Elle n’ajoute rien, imperméable à l’espoir qu’elle entend dans les mots. La jeune femme n’était pas dupe. Les deux corps, disposés sur la plage, ne lui laissait pas l’ombre d’un doute. Devait-elle vraiment annoncer à Kirie, aussi dévastée qu’elles l’étaient, qu’elle avait une preuve sérieuse que Gwaine ne s’était pas défendu ? Il était mort, un fait indéniable même pour quelqu’un qui n’avait qu’à peine les rudiments médicaux. Mais le plus frappant pour l’archéologue, au demeurant, était sa position et son expression. La surprise, figée sur ses traits, l’avait frappé avec la puissance d’un raz de marée.  Caius, lui, semblait avoir eu le temps de réagir mais Siam n’en savait pas assez pour en être certaine. Elle ne se basait que sur une chose qui ne l’avait jamais trompée jusqu’à présent : sa connaissance absolue de son ami et maitre. Le charpentier ne serait pas mort comme ça. Il y avait forcément quelque chose qui clochait.

Malgré les traits détachés de la jeune femme, la colère pointe dans sa voix. Lucer lui avait toujours semblant glissant, grouillant comme une anguille. Une sensation dérangeante qu’elle avait mise de côté devant l’entente globale de l’équipage et la bonne humeur quasi-permanente de Nymphéa. Peut-être aurait-elle dû être plus prudente. Peut-être était-ce sa faute, au fond, d’avoir gardé les doutes pour elle-même. Peut-être que, grâce à ça, elle aurait pu préserver tout le monde, une fois de plus. Le doute et le remord la taraude avec force, mais elle les balaye. Penser contrôler les embranchements du passé était futile, encore plus que de penser qu’elle pourrait en faire de même au présent. L’avenir était une chose fuyante, peut-être même plus que ce sac à sucre de serpent à huit tête. C’était bien la seule chose que Siam pouvait admirer à son propos, d’ailleurs. Cette capacité, quasi reptilienne, à rester en vie peu importe la situation.

Décidément oui, elle ne voyait aucune possibilité avec un Lucer mort et disparu. Lui et Nymphea était là, quelques parts. Il ne restait plus qu’à les débusquer et, si ses soupçons étaient avérés, prendre les mesures adéquates. La froideur de la pensée fait tressaillir la jeune femme. Etait-ce la colère ou la tristesse, qui la rendait si calme à l’idée de mettre fin à la vie d’autrui ? Il n’était pas question de survie, pas question d’absence de choix. Elle n’avait même pas l’excuse de l’urgence ou de l’impératif de protéger tout le monde… ou peut être que si, en fin de compte. Deux Divine en maraude, c’était des risques. Inutiles, dangereux, ils pouvaient être source de traque ou de fuite d’informations. Si jusqu’à présent, ils avaient évité le pire, que se produirait-il si la Marine apprenait qu’une survivante d’Ohara sillonnait les mers ? Jusqu’à présent, personne n’avait réellement posé de question sur ta connaissance gigantesque des ponéglyphes mais il fallait être idiot pour ne pas s’en douter. A elle seule, elle représentait un risque majeur pour tous l’équipage, maintenant que la Gourmandise et la Luxure était partie. La moindre fuite à son propos serait l’aube de la mise à feu d’une poudrière gigantesque dont elle-même n’était pas toujours sûre de comprendre les implications. La seule chose qu’elle savait, c’est que ce One Girl versus The World serait un cataclysme certain dont ils n’avaient pas besoin pour le moment. Mais comment empêcher quelque chose qui était déjà hors de contrôle ?

Tirée de ses pensées par la voix de Kirie, Siam hausse un sourcil. Autant pour l’émotion que l’étrangeté de la question qui la laisse perplexe. La réponse elle, était d’une simplicité enfantine qui paraissait décalée avec l’instant. Non. Pas par manque d’intérêt, mais par respect pour le poids des blessures et tout ce qu’il pouvait signifier. Une sorte d’omerta qui était instinctive chez Siam et certain des Pélicans. On voyait les blessures, on les sentait et on les admirait comme tant d’étoiles qui prouvaient que, au-delà des exigences toujours plus grandes du destin, l’esprit était toujours là. Fort et vaillant. Solide et indomptable. Pas un mot ne répond à Kirie mais l’ancienne esclave sent qu’ils ne sont pas nécessaires, du moins pas pour l’instant. Elle change sa position, troquant la nonchalance couchée pour une pause plus confortable. Maintenant assise en tailleur, la jeune femme fait face à son interlocutrice. Le coude posé sur un de ses genoux, elle accueille sa tête encore marquée par le sable qu’elle a mangé tantôt durant leur combat acharné. Ainsi, elle ressemblait à s’y méprendre à sa capitaine, si bien que si elle avait aimé fumer, on aurait pu les prendre pour les deux reflets d’une même pièce. Du moins, si on excluait la manche pendante et l’œil absent de la plus grande des deux femmes.
   
Il n’y a aucune critique dans la voix de Siam mais l’ambiguïté de la phrase la dérange. Si Kirie n’était pas la personne face à elle, qui était-ce ? Et surtout, pourquoi s’étendre ainsi, brutalement ? Sans rien ajouter, elle encourage d’un regard la rousse à poursuivre. Encore une fois, ajouter quelque chose lui semble futile, inutile. Peut-être même que ça l’arrêterait dans son élan et ce n’est pas ce que la jeune femme désire. Elle voulait qu’elle continue. Elle voulait savoir.

L’honnêteté était primordiale pour l’archéologue mais elle se voyait mal réprimander la rousse, quelque fut le prénom de celle-ci. Venant d’une petite fille qui faisait son fonds de commerce sur les non-dit la concernant, l’ironie serait de taille. Aussi, elle fit taire la pointe de contrariété de la découverte soudaine d’un mensonge là où elle pensait qu’il n’y en avait pas. Ce qui comptait, c’était ce qui se passait. Et, en conséquence, il était peut-être aussi temps pour Siam de jouer carte sur table.

 

Il n'y avait pas eu de conflit, il n'y avait pas eu d'affrontement. On avait pris sa famille en traitre et aucune des deux survivantes ne savaient vraiment quoi en penser. La Capitaine pouvait ressentir tout l'agitation, la colère de son archéologue, mal contenues. Rien que dans le comportement de son amie, elle avait pu voir un changement qui, bien que totalement compréhensible, restait un effet causé par la mort de leurs nakamas. Kirie aurait bien aimé que ce soit autre chose, plutôt que cet événement tragique, qui participe à l'ouverture de sa jeune camarade. Récemment, les barrières de la petite, creusées par la rage, la laissaient davantage s'exprimer, faire valoir son opinion. Le soulagement que la borgne trouvait dans cette constatation l'horrifiait, même si elle était la première à pouvoir comprendre ce que devait traverser son ami. La logia aussi, avait été renforcée par la perte violente, brutale, d'un être cher... Même si ça lui avait pris bien plus de temps pour se remettre, à elle.

Pour ça, elle ne pouvait qu'admirer la force de sa nakama. Le poids que la savante portait ne semblait pas l'alourdir, bien au contraire, elle s'en était immédiatement fait un arme, qu'elle apprenait encore à maîtriser. Malgré tout, aussi résistante pouvait-elle être, la manchote s'inquiétait tout de même de son état. Dans sa petite tête brune, les sentiments, le ressenti et les pensées devaient s'entrechoquer, avec une violence atroce,  n'ayant rien à envier au terrible fruit des tremblements. Ce qui avait toujours retenu la détentrice du Gura, c'était sa douceur innée, qu'elle avait su garder, malgré son passé houleux. Sa conscience des autres,son empathie. Sa propre expérience, face à quelque chose contre lequel on ne pouvait rien. Tant de choses, parfois cachés derrière des piques tendres, mais toujours bien présentes, quoiqu'elle puisse en dire, lui ayant permis d'éviter bien des cataclysmes, avec le pouvoir qu'elle possédait. C'était une arme redoutable, qu'elle ne dégainait jamais entièrement, de peur que le monde ne s'effondre. Si elle venait à se défaire de toutes ses entraves, qui faisaient partie intégrante de sa personne...

"Il est possible que je frappe avant de poser des questions". Cette phrase avait envoyée un long frisson dérangeant, le long de l'échine de la Rage. Si jamais ils venaient à mettre la main sur Lucer et Nymphéa, et que ceux-ci n'avaient pas de parfaites explications, quant à leur survie et la mort de leurs compagnons... Pire, si ils se trouvaient être responsables de cette tragédie... L'Orage commençait à se dire qu'elle n'aurait même pas le temps de frapper, avant que le Séisme ne fasse bien pire que juste frapper. Si leurs anciens compagnons étaient, bels et bien coupables d'une telle trahison, d'avoir retiré à la petite muette la présence du phare jusque là immuable, dans sa vie trop sombre... Il se pourrait bien que Siam se perde, à tout jamais. Que Kirie la perde, à tout jamais. Pour la première fois, depuis bien longtemps, la bête de foudre ressentit une peur panique, l'espace d'un instant fugace. Siam lui parut soudain plus loin que jamais, inaccessible.

Se confier était peut-être un moyen de la rattraper, avant qu'il ne soit trop tard. Lui montrer qu'elle n'était pas toute seule. Sur Calypso, l'archéologue avait un foyer, qui pouvait l'amener n'importe où, vers ses désirs les plus fous. Les passagers du Whaling Blues, ainsi que leur flotte de Pélicans, formaient une famille élargie et bienveillante, qui veillait les uns sur les autres. Tous avaient arpenté un chemin, construits dans différents matériaux, mais qui étaient passées par les mêmes coins malfamés, avant de se rejoindre au même endroit. Désormais, ils continuaient de tracer cette route, au même rythme. tous ensemble.

Sa plus chère amie imita sa position, et une douce poigne lui attrapa le cœur. Le trait d'humour de la jeune femme désarçonna sa chef, qui sentit toute la tension s'évanouir en un instant. Elle se remémorait ses longs discours, avec l'ancienne esclave, souvent dans le vide. Kirie n'avait qu'à plonger son œil unique dans les larges pupilles de son amie, pour y voir un nombre incalculable de réponses, de compréhension, de la part de la prétendue muette. C'était toujours une joie, d'entendre le doux son de sa voix, surtout lorsqu'elle le faisait de manière si détendue. Que ce soit leur ressemblance, leur soudaine proximité ou l'ambiance diamétralement différente, la tempétueuse pirate éclata d'un rire cristallin, qui lui fit monter les larmes aux yeux.




Cette fameuse question la calma, peu à peu, bien qu'elle conserva une expression emplie d'affection et de nostalgie. Il y avait beaucoup de façon de répondre à cette question, car Kirie, la vraie, l'originelle, avait été énormément de chose. Rien que de dire son nom à haute voix, le prononcer elle-même, la femme de foudre pouvait encore apercevoir ses traits, entendre son rire. Sentir son corps, dans le creux de ses bras. Son kiseru pendait entre ses lèvres, second héritage qu'elle avait reçu de sa moitié. Qui était-ce ?



Si elle avait réussi à dépasser la mort de sa cadette, l'estropiée n'en avait jamais réellement fait le deuil. C'était la première fois, qu'elle en parlait ainsi à voix haute. Même Faust, lorsqu'elle avait recroisé sa route, n'avait eu aucune information concrète, aucune réelle discussion, vis-à-vis de feu Kirie. En ce moment, après un affrontement, aussi terrible que bref, le moment semblait parfaitement choisi, pour vider un bagage émotionnel, qui s'était entassé, au fil du temps. La révélation de Siam lui fit arquer le sourcil, un tendre sourire lui illuminant les traits. C'était en parlant avec Gwaine, qui était tout de même resté très discret, qu'elle avait fini par l'apprendre. Lucer, lui, l'avait visiblement compris de lui-même, mais n'avait même pas abordé la question, en dépit de ses ambitions démesurées. Une époque révolue.



Sauf qu'elle n'arrêtait de jamais parler, la petite. Sur ce point, les deux sœurs avaient toujours été totalement similaire. L’aînée avait toujours vu ça comme une fierté, leur point commun, malgré des sujets et des connaissances diamétralement opposées. Regardant aux alentours, la Capitaine poussa un soupir un peu plaintif, en secouant la tête.



Elle n'avait rien d'une religieuse. "Là-haut" n'avait aucun sens, à part pour une personne très précise. La seule, assez bonne, pour prétendre à n'importe quel paradis imaginable. Son œil la brûlait, ardemment. C'était douloureux, même si ça restait cathartique, de dévoiler cette part de sa vie, qui l'avait façonnée la bête, telle qu'elle était désormais. Le sort funeste d'Ohara avait énormément influencé le départ de la plus jeune des sœurs, mettant en branle toute une série de mécanismes, ayant guidée la survivante asymétrique, le cul par terre, dans la poussière. Le cœur brisé, mais jamais seul, au sein de la douce Wrath. Auprès d'eux, la pirate éthérée se sentait en sécurité. Elle aurait bien voulu le faire comprendre à sa plus vieille amie, ça aussi. L'assurer que son secret était en sécurité, confiée au tonnerre. Que le Gouvernement avait beau lui avoir enlevé une fois sa raison de vivre, jamais elle ne leur laisserait le faire une seconde fois. Tout semblait lourd, maladroit, dans l'esprit de la borgne. Comment dire à quelqu'un "tu m'as redonné la force de respirer, plutôt mourir que de laisser quoi que ce soit t'arriver, je comprends et partage ta peine, si jamais tu veux en parler." ?



Pas comme ça, sans doute. Il n'empêchait que c'était une vérité, qu'elle n'avait jamais vraiment explicitée, autrement que par ses actes. La petite souffrait, et Kirie n'avait jamais vraiment les mots justes, pour communiquer avec son entourage, elle se contentait généralement d'agir, de leur démontrer par l'action, ce qu'elle avait sur le cœur. Sa main vint se poser sur le genou terreux de Siam, réconfortante. Si elle voulait parler de ses épreuves, ou en apprendre davantage sur celle de sa Capitaine, la balle était dans son camp. Une furieuse envie de l'étouffer dans un câlin furieux, qui s'était bien trop fait attendre, après toutes ces années. Mais bon... Les ruines avaient déjà essuyé suffisamment de dégâts, sans risquer d'énerver à nouveau la maîtresse des tremblements de terre.

Le timbre de la voix de Kirie remue le cœur de Siam. Elle savait à quel point la capitaine pouvait tenir à eux et, elle-même, pouvait comprendre ce que c’était de perdre une partie de soi dans un caprice du destin. Sa mère s’était perdue dans la folie qu’avait été la perte d’Ohara. Ses recherches et l’élu de son cœur envolé, la génitrice avait vrillé si fort que tous les impératifs de la survie de ces souvenirs qu’elle chérissait tant était gravé dans l’âme de sa fille avec la précision d’un scalpel et la douleur des plaies encore à vif sur lesquelles on jetait inlassablement du sel. Dans l’écho de souffrance de la voix qui s’étiolait déjà dans les airs, la brune perçoit tous les regrets et toute la solitude qui en découle. Autant d’émotion qu’elle-même ne connaissait que trop bien, pressée par les souvenirs spectraux d’une mère injuste et terrible.

Mais les faits étaient là : ce qui a été fait ne peut être altéré. Les morts ne reviendront pas. La chose la plus raisonnable était d’en faire le deuil, difficile, définitif pour pouvoir avancer. Une donnée appuyée par la certitude, que la Divine Greed n’avait jamais mise en pratique. Elle ne ferait jamais le deuil, pas par caprice ni par complaisance mais par soucis de mémoire. Ohara n’était plus et, jusqu’à preuve du contraire, elle en était le dernier bastion, la dernière étincelle, fragile, qui devait survivre pour en terminer le travail. Un poids qu’elle sentait se renforcer à mesure que les années avançaient, malgré cette conscience idiote qui lui rappelait sans cesse que rien ne l’y obligeait. On ne l’avait pas choisi pour ça. Elle n’avait aucune obligation envers sa vieille folle de mère qui avait été jusqu’à se sacrifier pour s’assurer que sa survie soit inévitable. Le poids, si familier, que pesait les habitants de feu Ohara n’étaient, en définitive, qu’un fantôme de réalité qu’elle s’était forgé. Une tombe sur-mesure, que son prédécesseur lui avait creusé avec minutie. Une croix qu’elle avait choisi de porter, d’elle-même, pour donner un sens à toutes les souffrances qu’elle avait subi jusque-là. Une quête futile puisque donner du sens à la folie était une perte de temps théorique. Une quête pourtant réelle, de presque vingt-deux ans maintenant.

Avec un sourire exaspéré de sa propre idiotie, Siam chasse les fantômes qui la tourmente. Si Kirie semblait être la moitié sinon le mélange parfait entre les deux jeunes femmes ici présentent, alors on aurait eu là un sacré phénomène. Et sans aucun fruit, de surcroit. Une constatation qui forçait le respect, quelque part. Sans rien ajouter, la Divine Greed savoure les nouvelles informations que lui offre sa capitaine. Cartésienne, la remarque sur l’au-delà la fait sourire. Aucune religion au monde ne lui ferait démordre de la science et de cette maxime simple, la toute dernière que lui avait enseigné son père. Rien ne se perd, rien ne se créer, tout se transforme. La vraie Kirie n’était pas là avec elles, mais il était certain qu’elle se tenait quelque part. Peut-être était-elle condensée dans la foudre de sa sœur. Peut-être se trouvait-elle dans les ruines finales, à les attendre pour les gratifier d’un « Vous en avez mis du temps ! » inaudible avec les rémanences de l’ancienne civilisation et les archéologues d’Ohara. Renversant sa tête en arrière pour contempler le ciel, la petite brune n’ajouta rien, laissant son esprit vagabonder dans les idées farfelues avec bonne humeur. Lorsque la voix timide mais décidée de Kirie touble à nouveau le silence, elle ne peut s’empêcher de laisser échapper un sourire franc.



Elle regarde sa camarade, quittant le ciel des yeux pour lui adresser un sourire lupin, satisfaite de son petit effet. Et, alors que Kirie savoure ce renouvellement d’allégeance, elle poursuit en la pointant du doigt, bien décidée à ne plus lui lâcher la grappe.


La question reste en suspens avec le regard de celle qui l’a posé. Passant de l’œil caché au bras fantôme, la petite maitresse des séismes attend patiemment que son interlocutrice pèse le pour et le contre, comme elle-même le faisait encore actuellement. La méfiance était difficile, après tout ce qu’elles avaient traversé à bord de la Divine Comedy aussi, à l’instant où le secret franchi les lèvres de la Divine Wrath, Siam se métamorphose. Les mots ruissellent le long de ses lèvres, alors qu’elle restitue tout ce qui s’est passé depuis la fuite. De la servitude volontaire à la perte de sa génitrice à qui elle a retiré son statut de mère. De l’entrée du Gura dans sa vie à la sollicitude de Gwaine alors qu’il aurait pu faire ce qu’il voulait d’elle. La finalité de ce récit, commune aux deux jeunes femmes, fait même rire la plus jeune des deux. Unie par le destin, elles continuent longuement de parler, un sourire confiant sur le visage. Peu importe d’où elles venaient, elles savaient où elles iraient et ce qu’elles feraient. Dans les défaites comme les victoires, elles seraient là, ensemble. Immuablement.
 

Pour la première fois depuis bien trop longtemps, la détentrice du Goro a enfin l’occasion de vider son sac et de partager réellement sa vie, sans faux-semblant, sans demi-mesure, sans aucune fioriture. Elle pouvait échanger et partager son ressenti, avec quelqu’un qu’elle aimait de tout son cœur et ça n’avait pas de prix. Combien de fois avait-elle imaginé ce genre de discussion, à cœur ouvert, avec sa jeune comparse ? Bien sûr, elle avait mis du temps à l’apprivoiser, après qu’ils se soient enfuis, côte à côte. Pendant de très longues nuits, Kirie avait petit à petit gratté son armure, monologuant sans s’offusquer du manque de réponse, jusqu’à faire craquer son mutisme, à force d’efforts. Durant un temps, elle avait essayé de se convaincre que ce n’était pas de sa faute et que Siam était tout simplement quelqu’un de compliqué, ce qui se comprenait tout à fait, après la vie terrible qu’elle avait vécu.

Toutefois, maintenant qu’elles en étaient là, force était de constater que le blâme était partagé. De base, la pirate n’était pas forcément facile à aborder et n’était pas des plus délicates, quand il s’agissait de faire connaissance avec quelqu’un. Plutôt qu’aider la jeune archéologue à s’épanouir, elle avait peut-être retardé le processus, avec sa grande gueule et son air patibulaire. Comme elle venait de le constater, il ne suffisait que d’un petit coup de pouce, une volonté partagée de chacune d’entre elle, d’essayer de comprendre et d’écouter l’autre. Un véritable moment de partage, comme il était parfois dur d’en trouver, surtout avec une vie aussi mouvementée que la leur. Son amour pour Siam était ardent, depuis le premier jour où elle l’avait vue. La fausse muette possédait une force de caractère, un courage, une persévérance, une puissance, mais surtout, une tendresse à toute épreuve.  

Plus le temps passait, plus elle s’attachait à son amie, avec qui elle avait vécu plus d’aventures qu’avec n’importe qui au cours de sa vie. Tout ça dans un laps de temps relativement restreint, comparé aux années qu’elles avaient engrangées, avant de partager le même chemin. Alors, elle lui avait posé une question qu’elle n’avait jamais réussi à formuler. Elle lui avait exprimé clairement, sans détour, à quel point elle était importante, à ses yeux. Bien sûr, tout ça avait toujours été induit, car sans un minimum d’affection, elles n’auraient pas passé cinq années sur le même navire, à poursuivre les mêmes objectifs et combattre les mêmes ennemis. C’était libérateur, quelque part, d’enfin lui formuler ce que l’estropiée savait depuis une éternité. En revanche, elle se serait attendue à tout, sauf à la réaction de sa nakama.

Celle-ci afficha un sourire doux, en lui signifiant qu’elle n’en doutait pas le moins du monde, puis, elle lui prit la main. En sentant les doigts de Siam,  si fins mais porteurs d’un si grand pouvoir, Kirie sentit le rouge lui empourprer légèrement les joues, avant que la petite n’enfonce le clou, avec cette « évidence » qu’elle venait de lui affirmer. Les pommettes rougies de la Capitaine perdirent leur consistance, pour cracher de petites gerbes d’éclair et cacher sa gêne, même si elle ne pouvait empêcher ses lèvres de s’étendre, en un large sourire enchanté. Pendant un instant, la rouquine sentit son cœur prêt à exploser, sous un trop plein d’émotions puissantes, qui lui réchauffait l’âme avec douceur.

Quelque chose se brisa, dans la poitrine de Kirie, qui se retrouva alors totalement incapable de résister à ses pulsions. Devant l’expression lupine de sa partenaire, qui la pointait du doigt, la borgne sombra vers l’avant, sa joue allant se coller à celle de Siam, alors que son bras valide l’enlaçait par les épaules, pour la serrer fermement contre son corps. Avant que l’Avarice n’ait le temps de rajouter quoi que ce soit, la Colère laissa échapper un large soupir de soulagement, empli de quiétude. La chaleur de sa peau contre la sienne, la fraicheur de son souffle qui lui chatouillait l’épaule et la nuque… Elle avait l’impression d’être sur un petit nuage, un nid de coton qui l’embaumait toute entière. C’était si bon. Si simple. Depuis combien de temps n’avait-elle eu personne dans le creux de son bras ? Longtemps. Bien trop longtemps.

Sans lui laisser la possibilité de se dégager, peu importe ce qu’elle pouvait bien en penser, elle la maintint ainsi pendant quelques minutes, sans rien rajouter. Elle se contentait de profiter de l’instant présent, renforçant son emprise comme si elle avait peur que la fillette ne disparaisse. Son œil droit, tout comme son orbite creuse, du côté gauche de sa face, brûlaient ardemment sous ce maelstrom d’émotions, qui la percutaient par vagues émotionnelles. Finalement, elle se fit violence, pour la libérer de son joug, en se toussotant légèrement dans son poing, qu’elle ramena contre ses lèvres, ne sachant plus où se mettre.    



La pirate ne pouvait s’empêcher de conserver son expression joviale, en dépit de cette perte momentanée de contrôle, qu’elle ne regrettait pas le moins du monde. La question que posa Siam la fit réfléchir un instant, alors qu’elle cherchait commencer son histoire. Leur histoire. Qu’elle devait maintenant continuer seule, sans pouvoir profiter de la présence de sa sœur, pour alléger son fardeau. Seule ? Pas tout à fait. Il y avait plein de gens, qui l’entouraient désormais. Qui comptaient sur elle et sur qui elle pouvait compter. Des gens foncièrement bons, sans doute trop pour ce monde, qu’elle protégerait jusqu’à son dernier souffle. Si il y avait bien un groupe à qui elle pouvait être franche et raconter sa vie, c’était la Divine. Au sein de cet équipage, s’il n’y avait dû y avoir qu’une seule personne à qui elle pouvait se livrer, c’était sans doute avec Siam, qu’elle se sentait le plus à l’aise et en sécurité.



Une larme se mit à couler, silencieuse, le long de sa joue gauche, s’extirpant de son cache-œil, sournoise, avant qu’elle ne l’essuie du revers de la main. Soudainement, ce nom lui semblait plein d’un sens qu’elle avait laissé de côté. C’était comme si, après toutes ces années, elle venait de le prononcer pour la première fois sans qu’il ne s’agisse d’elle. Elle avait l’impression d’être redevenue la gamine, qui n’avait d’yeux que pour sa petite sœur. Elle avait l’impression de ne plus être « Kirie », même si elle avait abandonné son ancienne identité, depuis longtemps. Elle avait l’impression de ne jamais l’avoir été, l’espace d’un instant fugace. Puis, les langues se délièrent et, à tour de rôle, les deux comparses se mirent à échanger.

Il semblait ne plus y avoir de place pour les secrets, chaque nouvel aveu en provoquant un autre, sans que la Capitaine ne cherche à voiler, déformer ou omettre quoi que ce soit. Le temps s’envola, car au cours de cette discussion, les deux femmes étaient totalement coupées du monde, enfermées dans leur petite bulle. Un endroit qui n’appartenait qu’à elles. Elle lui parla du petit trio Kirie-Hide-Faust, enchainant naturellement sur la première fois qu’elle l’avait rencontré, bien longtemps après la séparation des amis d’enfance. Elle lui raconta son enfance, peinant au cours de certains passages, en repensant à des idioties de l’un ou de l’autre, de quiproquos d’enfants débiles et de leur crush partagé sur leur camarade Sakazuki, ainsi que le pacte qu’elles avaient passé toutes les deux, pour que jamais quelque chose d’aussi puéril ne puisse les diviser. Elle eut la larme à l'oeil en lui parlant du départ fatidique de sa jeune sœur, sans davantage d'informations et les zones d'ombres qui planaient encore sur cet événement qui avait démarré sa seconde vie. Elles rigolèrent en abordant l'équipage des Cons d'Or, qui avaient été le premier contact de la logia avec la piraterie. Elle pleura à chaudes larmes, en lui racontant les retrouvailles avec Kirie, avant que celle-ci ne lui soit arrachée à tout jamais, sans omettre le moindre détail.

A chaque nouvelle phrase, un poids supplémentaire quittait les épaules de l'estropiée, qui se dévoilait autant qu'elle en apprenait sur son amie. Elle était venue pour un combat et, après de nombreuses heures à se mettre à nue, repartirait main dans la main avec Siam, toutes les deux fortes d'une complicité nouvelle, sans le moindre secret pour se dresser encore entre elles.