L'ambiance sur la place Morgan était tout bonnement exceptionnelle. Jamais, au grand jamais, n'avait-on vu pareil déploiement en cette île d'entrepreneurs. D'un naturel déjà très mouvementé, elle atteignait en ce jour si particulier, le paroxysme de son attraction, le summum de son activité. Marchands, serveurs et star-topeurs ne pouvaient seulement faire que constater, non sans une certaine allégresse, à quel point tout semblait différent ici. Les travaux éclairs entrepris par Ohmama n'avait nul pareil à travers l'histoire connue à ce jour. Il s'agissait d'un travail de titan, abattu comme cela en l'espace d'une journée et demie, à peine.

C'était comme si, en l'espace d'un instant, la place s'était métamorphosée, comme si, le temps d'un claquement de doigt impérieux, les lieux avaient explosés d'une mue urbaine complètement folle. La nouvelle surface plane qui recouvrait une moitié de l'île était désormais finie et entièrement aménagée. Plus de manutentionnaires à l'horizon, plus de traces de travaux, plus de poussières traînant aux pieds des arrivants, plus de bruits assourdissants de perforeuse dégommant le béton. Tout était parfaitement à sa place pour ce sommet, et rien, ni personne, ne semblait en mesure de venir perturber cet ordre géométrique.

Les arrivées furent nombreuses, et les premiers débarqués s'étonnèrent de la précision chirurgicale, industrielle, mécanique, avec laquelle la place de Morgan avait été organisée. Des bancs y étaient alignés en rang stricts de cinq-cent colonnes, destinés à accueillir mille personnes par ligne. Ils s'étendaient à perte de vue. Depuis le ciel, la densité de la foule, assise, attentive au déroulé de la scène, présente sur les lieux, ressemblait à celle d'une armée impériale. Un essaim noir, traversé par des liserés innombrables, trônait ainsi au milieu d'une place, qui se prenait aujourd'hui pour le centre du monde.


Seules quelques fourmis éparpillées venaient s'extraire de la masse compacte. Sur les côtés, un nombre incalculable de stand divers et variés avaient pris place — foods trucks en pagaille et autres démarcheurs chevronnés. De fait, les commerçants les plus habiles étaient parvenus à se dégoter des emplacements pour cet événement d'une importance capitale et à force d'exclamations, d'interjections, ils étaient parvenus à créer un flux ténu de passage entre les assises et leurs kiosques indénombrables.

Au milieu de la cohue se distinguait quelques unités de la marine, ostensiblement apprêtées pour faire figure d'ordre. Naviguant dans la foule ou simplement postées à des endroits stratégiques, elles sécurisaient l'événement de l'intérieur. Ajoutant une couche de protection supplémentaire, en complément du nouveau dispositif de contrôle qui filtrait les entrées et les sorties de chacun : une seule entrée, très surveillée, et une seule sortie, pour l'instant fermée.

Les préparatifs de la Conférence internationale de Star-Top Nation étaient terminés. L’Événement n'attendait plus qu'une seule chose : d'être lancé. Les derniers sur place finissaient de se réunir, de se retrouver, de se héler, de s'avertir... Les meilleures places, celles qui n'étaient ni trop devant, ni trop derrière, étaient occupées par certaines grandes personnalités de Paradise...

Parmi elles, Roosevelt D. Baron, grand maître d'Organic City, l'île industrielle, était accompagné d'une escorte robotisée dernier cri ; Christo Emmanuello, le haut-prince de Saint-Itturia, se tenait également, sans son père, en compagnie de nombreux marines en armure intégrale, munis de très hautes lances et d'oriflammes et, grande star, autour de laquelle tous les chuchotements semblaient se tourner, protégée par une bulle de mangrove infrangible, Appolodore, la Reine de Kedétrav, l'être le plus sublime du monde, s'amusait à peigner une poupée, en attendant le début de la cérémonie. Un déploiement vertigineux de sécurité — gardes innombrables, barrières de franchissements et une tourelle portative installée au dessus de son siège royal — semblait sceller tout contact avec elle.

Du beau monde, s'il en était. Le Gouvernement mondial avait ses contacts, indéniablement, et il le faisait savoir.


Lorsque les premiers mouvements de la gigantesque plateforme suspendue, qui était censé accueillir les intervenants, commencèrent à se faire remarquer, un silence marqua tout le monde. Comme une vague de vide, un râle mutin, les mots se coupèrent, les gestes se turent et les gens debouts s'assirent, à la manière d'une holà inversée.

La scène était maintenue par de nombreux câbles, tous reliés par un gigantesque bras mécanique fixé au plus haut building de City-Group qui servait de point d'ancrage à la structure démesurée. Elle s'animait lentement, avec une minutie que le monde, pris dans sa folie et sa vitesse, semblait avoir perdu. Elle se mouvait avec douceur et légèreté, s'abaissant pour être portée jusqu'au yeux des spectateurs. Totalement abaissée, s'inclinant très brièvement vers l'avant pour s'ouvrir aux bancs, à la foule, puis fixée dans un « clac » final, définitif, elle devait être à plus de trente mètres au-dessus de la foule, et à une bonne dizaine de mètres de longueur des premiers rangs. L'angle de vue était optimal, tous pouvaient désormais voir la beauté de l'installation finale.

La plateforme était habillée de tissus rouges nacrés, de soieries dorées, et les reliefs de la scène se structuraient autour de grands montants métalliques, décorés, eux-aussi, par des textiles prestigieux, aux échancrures bariolées. Un large et lourd rideau rouge écarlate, solidement suspendu à la barre transversale qui surplombait la devanture, cachait encore le contenu de la scène.

Avant même que les premiers applaudissements ne retentissent, ne serait-ce que pour féliciter le travail de montage et de construction faramineux entrepris par le Président de la Star-Top et ses travailleurs indépendants, des sons de cuivre se firent entendre.


Et enfin, le voile fut tiré. À l'actionnement d'un mécanisme dissimulé, la scène fut enfin entièrement révélé aux yeux de tous. Galvanisée par l'attente, la foule se libérait de son adrénaline dans un flot d'applaudissement tonitruant. Un grondement sourd et global anima les lieux.

À l'avant de la scène, aux yeux de tous, se tenaient deux personnalités particulièrement appréciées. Dally, le plus grand peintre du monde en compagnie de son inséparable muse, Kallow, tous les deux enlacés théâtralement pour manifester l'amour inconditionnel qui les unissait. Un Abraso... Quelques accessoires les entouraient, des éléments de décor et des spots de lumière projetant leur rayon sur le duo, tandis que derrière eux, semblaient se tenir une troupe de comédiens, prêts à jouer.

Après une vrille d'ornement sur la pointe du pied, pour lâcher sa partenaire, le petit corps de Dally s'avança vers les devants de la scène, et d'un Amague (mouvement de tango consistant à frapper le sol d'un pied ferme pour marquer la mesure), il s'arrêta pour faire face à son public. Il écarta les bras, s'abaissa pour saluer, puis se releva, en raclant l'arrière de sa gorge d'un toussotement d'appoint.

— Musicalement vôtre ! Guaguaguaguaaashiiiii ! Aujourd'hui, cher public... est un jour exceptionnel ! Que dis-je, un jour unique, ultime, mirifique ! Pris dans son accumulation poétique, sa tête se pencha en arrière. Il se ressaisit aussitôt. Un jour comme celui-ci, est un jour artistique ! Et l'art s'exprime sans mot. Alors, ressentez la teneur de la situation à travers ce spectacle que nous allons vous offrir, ressentez la, au plus profond de vous-mêmes.

L'artiste et sa muse n'étaient pas placés sur le devant de la scène sans raison. Quelques instant seulement après la fin de sa phrase, une autre musique se mit à jouer alors qu'ils entamèrent leur spectacle. Les acteurs qui les précédaient, accoururent pour les épauler, et jouer le reste des figurants.


Sur une note presque burlesque, ils résumèrent la situation géopolitique du monde - en commençant par le Génocide de Xoth, puis par le Putsch de Luther, la trahison d'Oswald, la Revanche de Kropotkine, les attentats de Heine... Tout en dépeignant, d'un ton mélioratif, presque apologique, la vaillance du Gouvernement mondiale, sa justice toute puissante, sa bienveillance millénaire... La représentation était dichotomique au possible : d'un côté, les méchants, eux, les révolutionnaires et les Empereurs ; d'un autre, les gentils, nous, le monde, le Gouvernement mondial, les civils et les petits pirates pris dans la spirale sociétale.

Ils dessinaient les décors en un instant, dans la foulée de leurs danses et chants, meublant le récit, tandis que les acteurs s'évertuaient à singer les grandes actions de l'Histoire. Cela venait à peine de commencer, mais la foule était déjà conquise.

Près de l'entrée, les choses s'animaient. Les derniers arrivants se précipitaient vers les entrées. Tandis que les forces marines sur place attendaient les dernières minutes avant de pouvoir fermer les points d'accès et empêcher les arrivées trop tardives.


Derrière les rideaux, à l'abri du spectacle, de la foule criarde, des exclamations, des acclamations... le Hérault se préparait et recevait les dernières informations de son Majordome. À la fin de ce show, le monde allait changer.

Spoiler:

Voilà plusieurs dizaines de minute que le show battait son plein. Rythmé, haute en couleur, la cérémonie luxueuse touchait bientôt à son terme. A la manière d'un bouquet final, l'orchestration et les jeux de lumière grimpaient en intensité. Le duo d'artistes de renom qu'étaient Dally et Kallow montraient ainsi leur immense gratitude envers le Gouvernement mondial, à travers un sens artistique sur-aiguisé. Les prouesses techniques employées feraient rêver les plus doués d'entre tous, sans compter les pouvoirs du Fruit de l'Art que Dally se faisait un plaisir d'exploiter. En quelques minutes seulement, la scène avait changé de décor un nombre incalculable de fois et les personnages revêtirent tout autant de costumes de haute voltige. De quoi impressionner la galerie prestigieuse venue se repaître de cette exhibition féérique. Mais toutes les bonnes choses avaient une fin...

Un tonnerre d'applaudissement vint ponctuer cette longue représentation. Saluant le public au bord de la scène, les artistes remerciaient ce retour si chaleureux durant quelques minutes, savourant ce qui est le plus cher à leurs yeux, un retour positif des spectateurs. Ils avaient fait honneur à leurs employeurs, à qui ils devaient tant. Le rideau se refermait ensuite, pour ne plus rouvrir, au grand dam du duo d'artistes, qui aimaient faire durer le plaisir en effectuant plusieurs rappels. Mais aujourd'hui, ils n'étaient que l'entrée, et non le plat principal. Il était grand temps de passer au véritable clou du spectacle.

Des cliquetis se firent entendre de toute part derrière la scène, toujours camouflée derrière ce gigantesque tissu écarlate. Rien ne laissait présager de ce qu'il se tramait derrière le voile, si ce n'étaient ces bruits de manutention et le regard profond du majordome de monsieur le Héraut qui supervisait depuis le bord de la scène, côté jardin. Pendant ce temps, une unité Marine inspectait les stands avant l'arrivée de l'émissaire du Gouvernement mondial, les derniers préparatifs étant presque exécutés.


L'homme au monocle s'avança devant le rideau afin de faire face à la foule, alors que le brouhaha du public, intrigué par sa présence, s'estompait peu à peu. Les choses sérieuses allaient enfin commencer, et tout le monde le sentait. Escarmicro en main, le majordome se tenait droit, stoïquement, et attendait un court instant avant de prendre finalement la parole.

― Monsieur le fondateur d'Organic City, messire le Haut-Prince de Saint-Itturia, Madame la Reine de Kedétrav, et enfin, Citoyens, Citoyennes : tout d'abord, je souhaitais vous remercier pour votre présence en ces lieux. J'aimerais récapituler la raison de notre réunion d'aujourd'hui. En effet, le Gouvernement mondial a une déclaration importante à vous faire, une annonce inédite, et en exclusivité pour vous, qui, je le pense, changera la face du monde.

Nouveaux coups de trompette. Celui qui semblait être le Majordome du Héraut, en tout cas, celui qui s'évertuait à faire en sorte que tout se déroule sans accrocs, trônait au milieu de la scène. Il tendit sa main droite en direction de l'obscurité, et ouvrit son corps, avec réjouissance, avant d'annoncer...

— Je vous prie d'accueillir monsieur le Héraut, émissaire du Gouvernement, venu spécialement à Star Top dans le but de faire cette déclaration.

D'un signe furtif, l'homme au monocle commanda l'extinction des feux. Plus aucun éclairage n'illuminait la scène, et les silhouettes présentes étaient à peine perceptibles. Soudain, les projecteurs se focalisaient sur l'une d'entre elles, jusqu'alors invisible. Quelques larsens agressaient les oreilles des personnes proches des moniteurs, tandis que l'escarmicro de l'émissaire s'activait. Les escarméras du monde entier étaient braquées sur lui, la cérémonie étant retransmise par-delà les sept mers. C'était, ne l'oublions pas, l'événement de l'année.


Plus rien d'autre n'avait d'importance à présent. Cette silhouette blonde, malingre, affublée d'habits traditionnels et d'apprêts fastueux, était devenu un soleil, autour duquel tout devait tourner désormais. Ses bijoux et sa peau d'ocre faisaient sur-briller les faisceaux de lumière qui tombaient sur lui. Il rayonnait, tel un messie, tel un prophète.

— Je suis désolé, lança-t-il, assez froidement, après avoir laissé filer un blanc pendant de longues, très longues secondes de battement. Le silence, déjà pesant, s'accentua, comme plongé dans les profondeurs d'un néant sous-marin. Chacune de ses respirations était appuyée et résonnait plus fort que le vent. Je suis désolé que ce monde soit ainsi, désolé que les choses aient été construites de cette façon. J'aurais aimé aider chacun d'entre vous à se sentir mieux, à trouver la paix qu'il souhaite trouver à l'intérieur et à l'extérieur… Nous ne voulons pas haïr, nous ne voulons humilier personne. Nous voudrions tous que tout se passe à la perfection et que personne n'ait à souffrir. Seulement, quelqu'un a décidé, un jour, que cela n'allait jamais arriver. Wolfgang D. Luther… prononça le héraut, avec une solennité qui fit frémir l'échine et perler la peau, ne veut pas la paix. Il ne l'a jamais voulu et depuis bientôt cinquante années, le Philosophe d'Ohara s'évertue à nous faire comprendre que nos rêves de stabilité, d'amour, de calme, ne sont que des illusions enfantines. Nous aurions pu vivre heureux, libres et unis, conscients de nos différences, mais cela n'est pas arrivé… Savez-vous pourquoi ? Car son souhait était que nous vivions dans la guerre permanente. Luther a parcouru les mers pour enfanter la peur, pour donner de l'envergure au crime et aux larcins. Il a fait croire aux endormis de notre société qu'en le suivant dans sa folle quête de pouvoir, ils allaient finalement se réveiller dans un champ de blé, doux comme la soie. Tout ce qu'il a créé, ce sont des somnambules, perdus dans les limbes, et des gueules de bois monstrueuses. Vous savez toutes et tous très bien de quoi je veux parler. Il fit une pause, courte, subreptice, pour balayer la salle de son visage illuminé et tenter de capter l'attention de tous. La piraterie... EST UNE MALADIE QUI NOUS GANGRENE ! hurla-t-il, en levant le poing.

Le public était manifestement captivé par le discours, comme en témoignaient ses réactions. Silencieux dans les moments de suspens, enjoué lorsque le ton haussait, les applaudissements et les cris d'approbation accompagnaient parfaitement le rythme des mots du héraut, résonnant à travers la place entière comme un véritable orchestre. La tension était à son comble alors que, sur un ton mélodramatique, avec une sincérité presque troublante, le messager du Gouvernement s'embrasait, Un tonnerre d'acclamations vint ponctuer sa tirade. Il n'en avait pas fini pour autant. Patiemment, le rhéteur laissait l'émotion les submerger, avant de poursuivre, malgré les cris enthousiasmés de la foule qui peinait à se calmer.

— Pour autant… comment traite-t-on une maladie ? s'arrêta-t-il de nouveau, avec l'air de demander à la foule de se reprendre elle aussi. Malgré cela, les acclamations ne se stoppaient pas. Elles étaient comme embrayées par un mouvement général, qui se suffisait à lui-même. Doit-on éradiquer les malades ? Doit-on… les trouver, un à un, et les exterminer, de peur qu'ils ne contaminent d'autres gens ? Doit-on, pour mettre fin à cette épidémie, détruire les victimes de ce fléau ? Je vous le demande ! DOIT-ON FAIRE CELA ?! reprit-il de plus bel, emporté, la main sur le cœur. Les réponses fusaient, superposées les unes sur les autres, et des sifflements retentissaient. Ou ne doit-on plutôt trouver un remède ? Ne doit-on, plutôt, combattre le mal en lui-même, en mettant au point un moyen de l'extraire, de l'exfiltrer ? Ne doit-on, plutôt, soigner ces gens ? Que feriez-vous si vous appreniez que votre fils ou que votre fille s'était lancée, hypnotisé par des croyances aberrantes, vidé de tout libre-arbitre, dans cette quête désastreuse de fausse-liberté qu'est la course au One Piece ?! Vous seriez d'avis de les tuer, de les détruire, au plus vite… ou de les sauver ? Il accéléra dans son débit, pour entamer une énonciation oratoire. Nous ne naissons pas criminel, nous ne naissons pas justicier. C'est le monde qui nous entoure, qui nous pousse à le devenir. Que ce soit par une rencontre inopinée, par un désarroi situationnel, par une éducation particulière ou par une occasion loupée, chaque interaction avec la société nous façonne et nous pousse à devenir, petit à petit, le reflet de notre environnement. L'existence sociale des hommes détermine leur pensée. Nous sommes guidés par nos sentiments, et nos sentiments sont créés par ce que nous croyons voir de la réalité. Nous sommes le résultat d'une complexe équation, où les inconnues s'entremêlent, où les variables prennent des allures de constantes et où tout ce qui s'additionne à nos êtres, finit par s'y soustraire. Notre caractère est déterminé par l'absence de certaines expériences plus encore que par celles que l'on fait… C'est ainsi, à n'en pas douter, en comprenant que tout criminel a finalement loupé une occasion de devenir un justicier, que tout pirate est finalement passé à côté de l'opportunité de devenir un fier marine, que nous commencerons à trouver un vaccin à cette épidémie.

Un court silence d'incompréhension s'imposa dans les rangs, avant que certains claquements de mains ne viennent en entraîner d'autres, comme une réaction en chaîne. Cette soudaine prise de position, cette nuance prononcée dans la dernière phrase, n'était apparemment pas au goût de tous. Le public, survolté jusqu'alors, perdait de son union, indéniablement. Mais la crédulité de la foule l'emportait sur les individualités, qui ne tardèrent pas, en grande partie, à exprimer leur confiance et leur faveur. Les acclamations se faisaient moins spontanées, moins certaines, mais étaient tout de même présentes.

— L'envie a empoisonné l'esprit des hommes. Elle a barricadé le monde dans un cercle de haine, de rancune, de regrets et d'amertume. Elle nous a fait basculer dans la misère, et a fait couler des mers de sangs. Nous ne ressentons plus, et réfléchissons beaucoup trop. Nous sommes devenus des machines manichéennes, binaires, duales, incapables de compromis, de nuances. Nous manquons tout simplement d'humanité, nous l'avons perdue à cause de la folie non pas d'un homme, Luther, mais du monde qui lui a permis d'émerger. Nous ne sommes plus que violences, lames entrechoquées, larmes entrelacées. Alors, je me demande... fit-il bruire, en hésitant, un brin de larmes perlant au coin de l'un des ses yeux perçants. Je me demande ce que nous attendons pour changer notre vision, pour nous enlacer, dans la fraternité, et tendre la main aux autres. En ce moment-même, ma voix est entendue par des millions d'individus à travers le monde, alors... j'ai bien conscience que ce que je m'apprête à vous dire, vous choquera peut-être, j'ai bien conscience que des hommes, des femmes, des enfants et des anciens, désespérés par ce chaos innommable dans lequel nous vivons depuis si longtemps, prendront ces paroles très au sérieux et qu'ils en ressortiront choqués. Mais je prendrai ce risque. Pour le bien de tous et de toutes. Pour le bien de ces mers et de ces terres. Je tendrai la main, nous tendrons la main… à celles et ceux que la société a oublié sur une île, un hiver, sans se retourner. Nous aiderons ces innocents en devenir, en leur promettant l'honneur et l'amour.

Les cris les plus bruyants n'exprimaient plus la même joie qu'au début. Les protestations de plus en plus prenantes, grouillèrent dans la masse, et des mouvements de foule, de personnes se levant pour quitter leurs assises, firent bouger les rangs, comme une bouffée de fumée soufflée dans une fourmilière. Baron D. Roosevelt, le Maître des Alphas d'Organic City, s'esquiva, en osant s'envoler devant tout le monde, à l'aide d'un petit hélicoptère personnel attaché à son siège, accompagné par une escorte robotisé. Appolodore, l'être le plus sublime du monde, fut également raccompagné vers la sortie, après un court balayage du dos de sa main et un regard jeté en l'air, de mépris. Les marines présents sur place n'avaient absolument rien à dire. Il s'agissait de VIP, et on ne devait, en aucun cas, contrevenir aux désirs d'un VIP.

— Rasseyez-vous ! Et écoutez- moi ! Pensez à l'avantage stratégique, pensez à l'avantage politique, pensez à l'avantage économique que cela constituerait, mais pensez surtout... à la pure bonté de cette main tendue que nous adressons au monde pour combattre la menace qui pèse sur lui. Le malheur qui demeure n'est que le produit éphémère de l'avidité et de l'anxiété maladive que cette instabilité permanente nous force à ressentir. Il nous faut le combattre en souriant aux pirates, en leur donnant la possibilité de se racheter et de devenir meilleurs. La haine finira par passer, et les Empereurs trépasseront. Le pouvoir qu'ils ont pris au peuple... Sa voix gronda, plus fort que le reste des autres sons... RETOURNERA AU PEUPLE ! TANT QUE DES HOMMES MOURRONT POUR ELLE, LA JUSTICE NE POURRA PERIR ! TANT QUE DES HOMMES SE SACRIFIERONT POUR SAUVER LEURS PROCHAINS, L'ESPOIR D'UNE PAIX TOTALE CONTINUERA DE BRILLER DANS NOS CŒURS ! PIRATES DU MONDE ENTIER, NE DONNEZ PLUS VOS AMES A CETTE SOTTE LIBERTE QUI VOUS ESCROQUE !

— PIRATES DU MONDE ENTIER ! CITOYENS DES MERS ! SOLDATS DE LA MARINE ! FEMMES, MARIS, PERES, MERES, FRERES SŒURS ET AMIS ! REGARDONS ENFIN DANS LA MEME DIRECTION ! COMBATTONS ENFIN LE MEME ENNEMI QUI NOUS MENACE ! Le monde entier tremblait, et la place de Morgan, épicentre de ce séisme international, pulsait comme une artère en hypertension. MESDAMES ET MESSIEURS, JE VOUS ANNONCE OFFICIELLEMENT LA CREATION DE L’ORDRE DES SHICHIBUKAI, LES SEPT GRANDS CAPITAINES CORSAIRES ! JE VOUS ANNONCE, EN CE JOUR, NOTRE ALLIANCE AVEC LA PIRATERIE ! JE...

Les hurlements solennels du héraut furent enveloppés par une détonation assourdissante, qui, presque visible, créa une onde de choc dans toute la place et alla retentir jusqu'au bout de l'île. Une véritable déflagration emporta la scène dans son ensemble, déchirant d'un souffle ardent, d'une fleur de feu, rouge d'éclat, puis noire de fumée, toutes les personnes présentes sur la plateforme. Quelques chanceux, situés sur les bords de la scène, furent éjectés sans mourir, mais se retrouvèrent grièvement blessés, brûlés au troisième degré ou démembrés.

Le duo d'artistes Dally et Kallow, qui étaient encore présents sur la scène, furent particulièrement touchés. Le bras droit de Dally fut épluché par les débris, et se retrouva complètement décharné, bullant encore, tandis que tout le corps de sa muse, Kallow, fut déchiqueté et incendié. Elle roula au sol, inconsciente, et laissa une énorme traînée de sang donner une indice sur la trajectoire qu'elle avait emprunté en se faisant propulser.

L'émissaire du Gouvernement était visiblement la cible principale de cet attentat. Et force était de constater qu'il avait été mené à bien. La foule, ébahie, épouvantée, complètement prise au dépourvu, put l'apercevoir voler au dessus d'eux, écharpé, le visage littéralement scié en deux, le corps tordu dans d'horribles contorsions, les bras et les jambes s'échappant de son tronc comme s'il s'agissait de feuilles mortes tombant d'un arbre. Ses intestins allèrent danser au rythme du vent et son sang, encore enflammé, alla arroser les spectateurs, d'une pluie torrentielle.

Rien n'avait pu être fait pour lui. Ou tout du moins, rien n'avait voulu être fait pour lui.


Le corps du malheureux, ou plutôt ce qu'il en restait, s'écrabouilla au sol, dans un broyat épais qui ne ressemblait plus à quelque chose de définissable. Les rangs avaient été balayés... L'épais écran de fumée opaque cachait désormais une bonne partie du panorama.

Les images de l'explosion avaient été retransmises par les escarméras avant qu'elles ne soient soufflées une à une. Le monde entier allait être sous le choc, et la création de l'ordre des Schichibukai devenait presque risible face à l'ampleur de l'affront qui venait d'être fait.

La structure qui soutenait la scène, cria dans une stridulation meurtrie, une dernière, pour avertir le monde de sa chute, lente et lourde. L'immense plateforme chuta sur la place, et écrasa les dix premiers rangs. Le fracas projeta une nouvelle onde de choc et fit un appel d'air puissant qui permit à la nuée incandescente de gagner une marge considérable de terrain. La scène était tout bonnement surréaliste.

Très vite, des cris d'horreur résonnèrent en chœur à travers Morgan, devenue un véritable enfer sur Terre. Tout n'était plus que mort et destruction. Mais les visiteurs n'étaient pas au bout de leur surprise, puisque...



Au loin, deux autres explosions, toutes aussi puissantes, se firent ressentir. La base du bâtiment qui soutenait la structure, explosa et le building qui lui faisait face, également. Leurs appuis brisés, les deux immenses immeubles s'écroulèrent de tous leurs poids contre le sol plusieurs mètres plus bas, répandant partout autour d'eux leurs débris enflammés comme autant de projectiles redoutables. City-Group était également prise d'assaut et sa destruction venait se répandre, un peu, sur la place.

La foule n'était plus exempte de danger. Tous risquaient d'y laisser la vie s'ils restaient, aussi, la foule ne tarda pas à s'éparpiller, à se marcher dessus et à s'auto-mutiler, par peur du danger. Un véritable mouvement de panique secoua la place centrale, traversée par un nombre incalculable de personnes en détresse. Le sol tremblait sous les piétinements, et le brouhaha chaotique rendait toute réflexion impossible.

— AU SECOUUUUURS !!!
— À L'AAAAAAIDE !!!
— MON ENFANT ! JE CHERCHE MON ENFANT ! IL ÉTAIT AVEC MOI !
— LAISSEZ MOI PASSER, BORDEL !
— AAAAAAAAAH !!!
— NOOOONN !!! N'ALLEZ PAS PAR LÀ !

Vues du ciel, les personnes présentes grouillaient comme autant de petites bêtes en détresse. Tous se dispersaient en direction des barricades qui encerclaient la place, espérant pouvoir s'échapper, avant qu'il ne soit trop tard. Personne ne voulait mourir. Chacun courait donc pour sa vie. Mais il était déjà trop tard.

Camouflés jusque là, se faisant passer pour de simples marchands, les différents stands qui composaient l'assemblée se retournèrent vers la foule pour les braquer à l'aide de gigantesques fusils mitrailleurs. Comment avaient-ils pu faire entrer autant d'armes ? Le dispositif de sécurité avait certainement ses failles, mais il était impensable qu'on puisse faire passer autant de matériel sans se faire prendre... Et pourtant, pour une raison encore inconnue, ces dizaines de stands étaient bien là, armés jusqu'aux dents, mitraillant la foule et notamment les estrades de la Marine, avec l'intention de faire un maximum de victimes.


Dans un second temps, une série d'explosifs détona à nouveau. C'était le dispositif de sécurité mis en place tout autour de la place qui partait en fumée. Les barricades explosèrent à leur tour, emportant les soldats qui les occupaient, et rendant la zone impraticable.

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