Chaque activité spéciale, pour être exercée avec une certaine distinction, a besoin de dispositions particulières. Lorsque ces dispositions se distinguent à un haut degré et se manifestent par des succès éclatants, l’esprit auquel elles appartiennent est désigné par le nom de génie. Cependant, nous ne pouvons caractériser clairement le génie dans son essence et établir des modèles qui se répètent, car il s’agit, finalement, d’un talent supérieur qui s’exerce dans toute la généralité indéterminée de la réalité. Ce qu'ont en commun tous les génies, c'est qu'ils sont indéfinissables.

Sur ces mers, il existait des êtres exceptionnels, capables d’avoir un contrôle absolu sur l’inclinaison des choses, doués d’un courage moral et d’une connaissance irréprochable des faits, leur permettant de voir l’invisible et de prévoir l’imprévisible. C’est à l’aune de leurs principes stratégiques et de leurs fomentations multiples, que fut créé la base marine du G-0 en 1505 : un espace mobile, insaisissable, capable de se monter et de se démonter, de naviguer, de grimper et de rouler, pour se trouver partout et nulle part à la fois.

Sous l’initiative du Grand Aigle Nobunaga, et grâce à l’exécution parfaite de l’un de ses vice-amiraux affiliés et stratège, l’Epervier Diaphane Ototsukimaru, quatre immenses bâtiments furent construits pour déployer conjointement une plateforme titanesque au-dessus de l’eau et s’assembler. Objectif : devenir le pivot de toutes les grandes opérations.


Les positions de ce colosse des mers variaient chaque année, et veillaient à changer régulièrement pour ne pas être trop fréquemment dévoilées. Montée sur des chenilles à palet, fonctionnant à la fois comme des hélices et des roues de traction, la base trônait au beau milieu de Calm depuis bientôt deux semaines. Près du Grand Trouble et dans la ligne d’horizon de Balgimoa – bien trop loin toutefois, pour être repérée – elle témoignait, par son placement, d'une volonté particulière : celle d'être présente à une proximité respectable des hostilités lors de la Fête de la Science.

La décision de ce positionnement avait été prise en amont lors d'un rare accord sans condition entre le Gouvernement mondial et la Marine. Petit à petit, la stratégie imaginée se montait, les infrastructures s'amélioraient, se fortifiaient, et les hommes présents sur les lieux, perfectionnaient leurs plans de bataille. Il y avait une ambiance lourde sur les lieux, comme une pesanteur qui appuyait sur les épaules et resserrait la poitrine, et cela se ressentait partout.


Dans une pièce assez obscure, éclairée par des farandoles de bougies, où les moulures de bois s'entremêlaient du mur au plafond comme un lit de serpent, se tenaient plusieurs conseillers stratégiques en cercle autour d'un plateau de commandement. Les pions étaient parfaitement ordonnés, les distances tracées avec un brio rare et les différents mouvements potentiels dessinés avec des pointillés fins.

Un silence de fer planait dans la salle, alors que la plupart croisaient les bras, une moue concentrée, mais satisfaite, peinte sur le visage. Les plans étaient, de ce que les supputations donnaient à voir, judicieusement bien réfléchis, et ne laissaient que très peu de place au hasard. Nobunaga lui-même n'aurait pas pu faire mieux, se disait certains, d'un bruissement chuchoté dans l'oreille, en regardant attentivement l'étendue des opérations.

— Eh bien, Ototsukimaru-san, je suis obligé de constater que votre place au sein des Onagadori n'a pas été usurpée... Ces tableaux de commandements sont parfaitement échafaudés, déclara l'un des hommes les plus près de la table, avec un regard condescendant. Avec de tels ressortissants, j'ai bien peur que Chugoku ne finisse par nous envahir totalement.
— Je vous remercie, Jigoro-dono, mais je peux d'ores et déjà vous rassurer : le Fléau n'a jamais été mon allié, et je ne pense pas qu'il le sera vraiment un jour. Nous avons trop guerroyé l'un contre l'autre pour que nos rancœurs s'éteignent, malheureusement, répondit un autre homme, visiblement à la place du dessinateur. Sa main gauche tenait fermement une perche destinée à pousser ou à ramener les pions sur le plateau.
— Je suis navré de ne pas être en mesure de croire sur parole un aussi fin stratège que vous...
— Les hommes de Chugoku font la guerre sur le champ de bataille, et les hommes de Wa no Kuni font la guerre dans les loges. Je suppose que vous êtes en terre conquise, ici, Jigoro-dono, vous pouvez tout-à-fait vous y sentir en confiance, termina Ototsukimaru, d'une pique avisée, en se redressant.
— Que dois-je comprendre là ? commenta le "capitaine" Jigoro, ôté de son ris et de sa joie narquoise.
— Que je suis sincère quand je vous dis que vous n'avez rien à craindre de nous.
— Je passerai sur l'affront que vous ven-... murmura alors le fameux Jigoro, en baissant la tête, avant d'être coupé par le bruit d'une porte ouverte brusquement.
— CHEF ! C'EST IMPORTANT !
— Développez, soldat, répondit Ototsukimaru du tac-o-tac.
— DES BATEAUX AMARRENT !

— C'est une très bonne nouvelle. Nous arrivons tout de suite, déclara finalement le stratège d'élite Onagadori, en se relevant tranquillement et en écartant tous les soldats d'argile du plateau. Son regard se porta malicieusement sur le maître Jigoro, pour l'adjoindre à le suivre, et ils décampèrent séance tenante.

Des flottes, petites et grosses, arrivèrent de tous les côtés, et débarquèrent sur la surface de la base. Après avoir jeté l'ancre, attaché les carlingues à l'immense surface et installé de longs ponts de transit pour faciliter le déplacement des troupes, le déploiement des unités se fit au pas de course. Le retentissement cadencé des bottes claqua comme des canons à poudre, et des nuées blanches de soldats en tenue officielle envahirent les lieux, s'installant en moins de temps qu'il n'en fallait pas pour le dire à travers le G-0.

Les quartiers montés sous chapiteaux présentèrent aussitôt leurs étendards, les zones de ravitaillement furent rapidement investies et bientôt, la face du quartier mobile devint une véritable zone d'activité. Le nombre de personnes sur place avait carrément décuplé et l'intégralité des lieux se constituait maintenant autour de larges avenues droites, ceintes par des lignes de campements et des déploiements d'effectifs.

Un bon quart d'heure après les dernières arrivées, une alarme insupportable explosa dans les oreilles de tout le monde, pour les forcer à sortir de leurs repos et se mettre en rang. Après avoir reçu les directives des officiers pour les envoyer à leur place, la foule militaire bougea comme un seul homme, et alla s'ordonner en formation stricte pour faire face à l'immense pupitre de commandement. Un calme sévère bloqua la salivation de tous les soldats, jusqu'à ce que...


Depuis l'ombre, deux silhouettes apparaissaient. Un homme assez âgé, vêtu des hanfus traditionnels de Wa no Kuni, et un autre, plus jeune, décoré du manteau fleuri des Onagadori. Leurs prestances respectives transpiraient l'ordre. Ils marchaient avec une sérénité martiale, presque violente, qui ne laissait supposer aucune faiblesse. Le vent marin soufflait, et faisait virevolter leurs cheveux, mais ils se tenaient droit et ne chancelaient pas.

Le plus jeune d'entre eux s'avança, et grimpa doucement sur l'estrade. Ses yeux pleins regardaient un point dans le vide, alors que chacun de ses pas paraissait infiniment plus lourd que le précédent. Il se posa un moment, une fois arrivé en haut du pupitre, et agrippa de ses deux paumes les rebords du plateau sur lequel était installé le porte-voix, pour scruter lentement l'étendue qui lui faisait face.

Une armée remplie de soldats, tous plus déterminés les uns que les autres, était à sa disposition, mentalement et physiquement. Ils étaient là, postés au garde-à-vous le plus strict, pour écouter la proposition de son plan. L'Histoire du Monde se jouait en ce moment.

— Soldats, officiers et délégués de l’amirauté, je vous souhaite la bienvenue à bord du G-0. Cette base mobile, vous le savez peut-être déjà, est destinée à prévoir et à lancer des manœuvres d’envergure contre des ennemis conventionnels. Si vous avez été convoqués ici, à ce moment-précis, c’est donc pour participer à l’une d’entre elles. Nous nous trouvons exactement à 168 miles de l’île de Balgimoa, où se déroule actuellement la Fête de la Science et où se terre un nid de dangereux révolutionnaires, capables du pire, et dans trois heures, nous lancerons un assaut total sur eux. Des esprits philanthropiques pourraient concevoir l’existence de quelque méthode artificielle pour désarmer ou terrasser un adversaire sans lui infliger trop de blessures, et voir dans cette idée une vraie tendance de la guerre. Quelque spécieuse qu’en soit l’apparence, il importe de détruire cette erreur : car, dans une chose aussi importante que la guerre, ce sont précisément les erreurs résultant de la bonté d’âme qui sont les plus préjudiciables et les plus pernicieuses. Celui qui emploie la violence avec brutalité, sans épargner le sang, acquiert toujours la prépondérance sur un adversaire qui n’en agit pas de même, et lui dicte ainsi la loi. La guerre est un acte de violence à l’emploi de laquelle il n’existe pas de limites, il n’y a pas de règles, et chaque action doit être conduite à l’extrême. Dans ce conflit ouvert qui nous oppose à Balgimoa et à la menace terroriste qu’ils représentent, trop souvent nous avons été nuancés dans nos positions, nous avons atermoyé, par nos émotions et nos conditions, la décision d’annihiler complètement l’ennemi, de les faire disparaître de ces mers à tout jamais. Cette mollesse morale nous a inévitablement conduit au très regrettable évènement de Star-Top Nation, au cours duquel plus de 500 000 vies civiles ont été fauchées. L’idée de la formation en étau pour attraper les assaillants était pertinente et stratégiquement fonctionnelle, mais ce qui a fait défaut aux forces d’intervention, a été le temps de réaction trop lent entre le début des premières explosions et l’arrivée des renforts. Nous avons été en retard, physiquement et mentalement, sur l’ennemi, mais aujourd’hui, est un autre jour. Aujourd’hui, nous ne réagissons plus, nous agissons et nous prenons l’initiative de l’attaque. Balgimoa, actuellement en fête, est sans doute prête à recevoir un Buster Call, comme nous nous évertuons à le faire depuis longtemps, mais ils ne seront certainement pas prêts à subir un…

Cette opération à laquelle vous vous apprêtez à prendre part, aura pour objectif non pas de rendre l’ennemi incapable de combattre, comme ça a pu être le cas à de nombreuses reprises, mais bel et bien le terrassement absolu de toute personne appartenant à Balgimoa et la conquête totale de l’île. Bombarder une île qui a, au fil de ses déboires, su adapter une vie et des infrastructures lui permettant d’y survivre, n’est plus efficace, nous devons le comprendre. Si notre volonté est celle de neutraliser définitivement l’adversaire, nous devons proportionner notre effort à sa capacité de résistance. Cette résistance s’exprime par un produit dont les facteurs ne peuvent se séparer, à savoir : la grandeur des moyens disponibles et la force de la volonté. Nous avons souvent tenté de nous attaquer à leurs moyens, parce qu’ils reposaient sur des données matérielles et vérifiables, mais, nous n’avons jamais vraiment réussi à mettre un terme à leurs rétablissements. Car c’est, en réalité, la détermination de l’ennemi que nous devons mater. Car la guerre ne consiste pas en un seul coup sans durée, et que ses résultats ne constituent rien de figé. Il faudra, dorénavant, vaincre et occuper. Les unités qui seront déployées sur place, se partageront quatre fronts, un au Nord des Ruines de l’île, pour balayer ses mécanismes de défense, un au Sud, pour atteindre l’entrée de Neo-Baldimore, un à l’Est et un autre encore à l’Ouest pour créer le surnombre. Contrairement aux stratégies classiques de Buster Call, le Buster Drill consiste en un débarquement de guerre qui cherche à tuer toutes les forces ennemies, à détruire toutes les infrastructures disponibles, y compris les camps souterrains et les bunkers anti-bombardement, et à reprendre un contrôle intégral des lieux. Que ce soit clair : nous ne ferons pas de prisonniers, et étant donné leur capacité à piéger les objets, nous privilégierons la casse à la récupération. Cependant, l’emploi de la violence physique dans toute son étendue n’exclura aucunement la coopération des unités et l’intelligence collective, et nous compterons ainsi sur l’esprit avisé des officiers et des délégués de l’amirauté, pour mener leurs troupes allouées avec tactique sur le terrain. En débarquant sur l’île au moment propice, nous aurons l’avantage de la coordination sur eux, et nous devrons savoir en profiter. C’est la raison pour laquelle, en compagnie de Sieur Jigoro Kosen, ici présent, nous avons décidé de vous faire pratiquer, à tous, un entraînement à taille humaine pour simuler les manœuvres de guerre, éprouver les failles de vos commandements et vous apprendre à vous coordonner avec vos soldats. Ces exercices, tenez-vous-le pour dit, ne sont pas à prendre à la légère et nous permettrons de décider de votre positionnement dans l’opération, alors nous comptons sur votre discipline, votre dévotion et votre sens de la tactique pour vous montrer dignes de notre intérêt. Sur ces mots, je laisse la parole à l’Instructeur général qui vous expliquera exhaustivement les consignes, termina officiellement Ototsukimaru, en exécutant un garde-à-vous strict et en jetant son pied en arrière pour se retirer du pupitre. D’un sourire gardé, il ouvrit ses bras pour enjoindre l’Instructeur, un peu tendu, à prendre sa place, pour se lancer.

L’Instructeur, honoré, salua d’un hochement de tête la qualité de cette introduction, et releva son hanfu d’un brusque coup de bras, pour que ses tissus ne traînent pas au sol. Suivi par de nombreux surveillants, tacticiens et professeurs adjoints aux manœuvres, qui s’écartèrent pour former une vague honorifique derrière lui et soutenir sa prestance, il escalada solennellement l’estrade. Son pas lourd claquait dans tout le G-0.

— Heheeeeem, expulsa péniblement l’Instructeur Kosen, d’un raclement de gorge rédempteur, une fois arrivé à proximité du porte-voix. SOLDATS, OFFICIERS ET DÉLÉGUÉS DE L’AMIRAUTÉ, EN FORMATION ! OTOSUKIMARU-SAN VOUS A BRIEFÉ SUR LES RAISONS DE VOTRE PRÉSENCE ICI, ALORS JE NE VAIS PAS TERGIVERSER BIEN LONGTEMPS ! NOUS N'AVONS ABSOLUMENT AUCUN TEMPS À PERDRE ! Son timbre tonitruant dissonait avec la voix calme et rythmée du stratège et dirigeant de G-0, mais il s’apaisa assez vite lorsque le vif du sujet fut entamé. G-0 est composé de hauts-lieux de commandement, de salles administratives et d'infrastructures professionnelles, mais cette base mobile est également jalonnée de terrains d'entrainements aménagés pour les planifications de manœuvres. Ces lieux sont disposés avec une colline en leur centre et deux drapeaux qui la jouxtent, un à droite et un à gauche. Votre entrainement, avant le lancement du Buster Drill, consistera à investir au mieux l'espace à l'aide de vos unités pour posséder les deux drapeaux. Chaque commandant désigné aura à sa charge 10 000 hommes, et devra faire équipe avec un autre, pour affronter une équipe adverse composée également de deux commandants et de leurs 20 000 troupes cumulées. Cet exercice n'a pas pour vocation de mettre en avant vos talents personnels, votre puissance ou votre technique, mais bel et bien d'évaluer votre capacité à faire bouger les autres. Aussi, tout comme il sera accordé aux commandants de pouvoir bouger librement sur le terrain, de se protéger et de protéger leurs troupes, il leur sera strictement interdit d'attaquer les troupes ou commandants adverses et de se saisir eux-mêmes des drapeaux. Ne gagnez pas, faites gagner, et la victoire sera à vous. ME SUIS-JE BIEN FAIT COMPRENDRE ?
— ROGER ! scandèrent ensemble l'intégralité des effectifs, dans un vrombissement presque cataclysmique. La pression que le mouvement avait engendré, fit vibrer les parois métalliques de la structure gigantesque.

Spoiler:

À cette sonnerie profonde, le temps de l’échauffement prenait fin. L’île de Jigoro Kosen, arbitre principal et Instructeur général de la marine, avait pour habitude culturelle de marquer les heures par des sons de gong puissant. Cette tradition, quoiqu’un peu étrange aux yeux d’Ototsukimaru, tombait à pic, car la précision était toujours de mise dans l’exercice de leurs fonctions et l’exactitude de leurs agendas coïncidaient parfaitement. Chūgoku et Wa, deux pays affiliés de manière différente, l’un par la Marine et l’autre par le Gorosei, au Gouvernement mondial, collaboraient main dans la main, à l’image de leurs institutions respectives. Balgimoa était apparemment un ennemi que tout le monde voulait voir abattu.

Les batteurs, vêtus des haoris traditionnelles du clan Kosen, s’évertuaient à prolonger l’écho sur tous les terrains pour stopper les manœuvres et les mouvements ; les soldats en profitèrent pour se ravitailler et se donner des soins d’apprêts. Une petite accalmie momentanée… qui fut coupée aussi par une voix profonde en fond sonore.

— Heeeeehum, toussota l'Instructeur Kosen. FIN DES ENTRAÎNEMENTS, SOLDATS, SALUEZ ET PREPAREZ VOUS POUR L'ASSAUT ! LES DERNIERES INSTRUCTIONS DU VICE-AMIRAL OTOTSUKIMARU VONT VOUS ÊTRE TRANSMIS SUR LA PLACE PRINCIPALE ! NOUS N'AVONS PAS UNE SEULE SECONDE À PERDRE ! GO !
— ROGER !

Dans sa rigueur militaire, il n'avait pas tort : le temps pressait, et le repos allait devoir attendre. C'était maintenant que ça allait se jouer. Tout le monde l'avait très bien compris : le discours d'Ototsukimaru avait été on ne pouvait plus explicite. Désormais, les consignes logistiques allaient être transmises. Il avait sans doute pu analyser certains détails chez les commandants pendant les entraînements pour établir des profils, rassembler des informations sur le front ou encore trouver des stratégies payantes. Il était bien difficile de prévoir ce qu'il allait faire : c'était le comble du stratège, après tout. Quelques minutes suffirent pour que toutes les unités mobilisées terminent leurs tâches respectives et trouvent les grandes artères de passage. Les officiers criaient pour bouger les plus endormis, les plus motivés se mouvaient de leur plein gré, au pas de course. L'ensemble du G-0 se déplaça de manière coordonnée pour se rendre jusqu'à l'endroit qui les avait accueilli.

Le Buster Drill était sur le point de débuter. Le capuchon se débouchait, et la plume commençait à se poser sur le papier.


Dressé sur la vigie principale de la plateforme en compagnie de plusieurs subordonnés-conseillers, Ototsukimaru fixait le gros des opérations, sans mot, en écrivant à main levée quelques annotations sur un parchemin. Quelques chuchotements par-ci, par-là, mais le calme, celui qui précédait la tempête, planait lourdement sur les hauteurs. Une ambiance pesante rendait tout mouvement lent et dur autour du tacticien de Chūgoku. L'air frais faisait pourtant danser sa crinière de jais, son regard plein, précis, ne clignait pas, et son visage calme paraissait même se réjouir. Assez étrangement, le climat était agréable, et l'aura qu'il dégageait, était dépourvue de colère.

La sérénité du général était une qualité édictée dans les Mémoires de Guerre de Nobunaga, elle était un atout qui garantissait le sang-froid de ses unités et qui permettait de garder le contrôle sur ses émotions. Seulement, pour prétendre à cette plénitude martiale, il fallait au moins avoir quelque chose sur quoi se reposer. Et ses supputations innombrables, ses centaines de kilos de parchemin entièrement rédigés dans le but de cette opération, ses moyens colossaux, ses champions multiples, tous plus remarquables les uns que les autres, ses soutiens d'envergure, contribuaient, de ce fait, à cet apaisement.

Loin de lui, toutefois, cette morgue qui le poussait à croire que tout était déjà gagné ! Il n'allait pas déployer un tel panel de techniques pour les attaquer si c'était le cas ; c'était bien plus que cela, en réalité. Ototsukimaru avait l'habitude de ces moments de pression insurmontable, et il était, au contraire, de ceux qui les aimaient, qui savaient les déguster comme il se devait. Dans ces instants où le poids de centaines de milliers de vies reposait sur les épaules d'un homme, même si ce n'était que symboliquement le cas, la responsabilité ne devenait même plus lourde, même plus pénible... elle devenait claire, limpide, évidente.

Alors que les instructions de Sieur Kosen tonnaient, il se ressaisit et en tournant la tête dans une direction, enjoignit ses consultants à le suivre pour entamer le vif du sujet... en bas de cette tour. Les hommes qui le précédaient, lui apportèrent sa tenue rituelle : un kimono lui fut jetée sur les épaules et une couronne cérémonielle en soie lui fut déposé sur la tête, délicatement, sans qu'il ne s'arrête. Leur rapidité d'exécution montra à quel point le professionnalisme était demandé dans une telle situation.


Lorsque ce dernier arriva au pied de la tour de contrôle, à l'emplacement de sa dernière conférence, toutes les troupes l'attendaient. Un nombre ahurissant de soldats, officiers, membres de l'amirautés, se tenaient droits, fixés, suspendus à lui, et à son discours. Le mutisme de leurs respirations bloquées imprimait dans l'atmosphère une tension palpable. Ototsukimaru marcha tranquillement jusqu'au pupitre et disposa ses mains dessus.

— Nous n'avons qu'un seul moyen de mener la guerre : l'engagement. Toutefois, vu la diversité de son emploi et de sa fin, ce moyen nous conduit vers l'infinité des embranchements possibles. Car à l'engagement, seul appartient l'efficacité à la guerre, et la destruction de la force opposée est la définition de l'efficacité à la guerre. Alors, sachez-le, soldats, officiers et délégués de l'amirauté, nous ferons tout ce qui est en notre possible pour parvenir à nos fins. Nous ne reculerons devant rien, ni personne, et marcherons droit devant nous, jusqu'à avoir exterminé la menace. Ce n'est pas seulement notre devoir, c'est bien plus que cela... Il s'agit de notre incarnation : NOUS SOMMES LA JUSTICE DE CE MONDE CRUEL ! Il fit une pause pour reprendre son ton, et se diriger vers l'essentiel des consignes. Comme je l'ai expliqué tout-à-l'heure, il s'agit d'une guerre conventionnelle contre un ennemi armé, préparé à l'assaut et qui nous tend, même, sûrement, un piège. Il nous appartiendra donc d'en tenir compte dans nos manœuvres et d'aller au contact intelligemment. Cependant, je tenais à vous le dire : je n'ai absolument aucun doute sur aucun de mes commandants, et je sais qu'ils prendront les décisions justes au moment opportun. Ces entrainements ont été fort instructifs, et j'ai, dès lors, pu constituer des escouades dont la synergie me parait évidente. La pression montait graduellement. Cran par cran. D'après nos informateurs du Gouvernement sur place, nous aurons affaire à des terroristes armés d'une technologie qui nous est sans doute supérieure, dotés d'armes de siège et pourvus d'une meilleure connaissance de leur terrain. Oui ! Balgimoa, je vous le rappelle, est considérée comme une capitale mondiale de la science et de la robotique ! Et cette Fête de la Science est là pour nous le rappeler ! Inviter autant de mondes est sans doute un stratagème pernicieux d'Anida Lovelace, l'Eminence Scientifique en charge de l'île, pour nous dissuader, leur présence est comme un avertissement : celui qu'ils sont prêts. Seulement, nous... Nous ne préviendrons pas de notre arrivée, et malgré leurs systèmes de détection, nous les surprendrons par la composition de nos effectifs et de nos formations. Nous allons les acculer sur quatre fronts, Est-Ouest-Nord-Sud, et les prendre à leur propre jeu.

Sur le Front Est, seront dépêchés la Contre-Amirale Fortuna Myda, à qui nous confions 2000 soldats supplémentaires, et le Capitaine Strongheart K. Jake, à qui nous confions 4000 soldats supplémentaires. Les informations que nous avons au sujet de cette zone sont assez floues : il y aurait la présence de plusieurs pirates importants, comme un certain Bakenekko D. Ikki, membre de la Divine Comedy, et le capitaine des Diamond Skimmers, Jin Ueno... D'autres rumeurs circulent sur la présence d'une arme de défense dernier cri capable de raser nos troupes. Ne vous en faites pas. Nous vous remettons l'un de nos meilleurs atouts. Il vous sera délivré au moment de partir, sur une barque qu'il vous faudra transporter avec précaution jusqu'au champ de batailles. La prise de ce point est crucial.
Sur le Front Ouest, seront dépêchés la Capitaine Mia Meolodona,  à qui nous confions 4000 soldats supplémentaires, la Contre-Amirale Sora M. Read, à qui nous confions 10 000 soldats supplémentaires, et le Capitaine Shinji Nakata, à qui nous confions 4000 soldats supplémentaires. L'espionnage nous a permis de comprendre que cette zone était pentue et que la venue des troupes allait être complexe. Toutefois, un navire de soutien vous rejoindra en route pour vous apporter un appui stratégique. L'intérêt de ce débarquement est de créer le surnombre et de les disperser. Soyez percutants.
Sur le Front Nord, seront dépêchés le Vice-Amiral Joey Marciano ainsi que ses 50 000 hommes, et le Capitaine Kid Winston, à qui nous confions 4000 soldats supplémentaires. En suivant la logique géographique, cette zone est celle que nous atteindrons en premier. Toutefois, nos agents n'ont pas pu s'y rendre et elle demeure absolument inconnue. Si elle s'avère être un atout que nous ne connaissons pas, alors elle doit être détruite au plus vite. Nous comptons donc sur vos efficacités respectives pour porter atteinte à leur système de défense et transmettre le maximum d'informations. Nous avons également pris le soin de vous fournir un éclaireur de premier choix pour baliser votre terrain. Il vous facilitera grandement la tâche.
Sur le Front Sud, seront dépêchés le Vice-Amiral Teppei Kyoshi ainsi que ses 50 000 hommes, et la Lieutenante Lelei Astrelle, à qui nous confions 5000 soldats supplémentaires. Le Sud de Balgimoa est la zone la plus connue de nos services : fort heureusement puisqu'il s'agit de l'emplacement de Neo-Baldimore et du présupposé centre névralgique de l'île. Anida Lovelace s'y tient actuellement, et plusieurs de nos agents nous ont confiés de précieuses informations au sujet de cet endroit : il s'agirait d'une plage immense où sont creusés des trous, nous ne savons toutefois pas si ils sont naturels ou artificiels, et où se tiendraient des plateformes surelevés sur lesquelles auraient été installés des armes lasers. L'un de nos agents du CP1 serait parvenu à saboter l'une d'entre elles, mais nous ne détenons pas plus d'informations. De nombreux détenteurs de fruits du démon et des révolutionnaires munis de tenues de manoeuvre tridimensionnelle s'y tiendraient, prêts à en découdre. Si nous gagnons cette bataille, nous gagnons la guerre. Alors vous serez également accompagnés d'un élément perturbateur qui vous garantira votre succès. Son énumération terminée, un vrombissement, comme une nuée de chuchotements inaudibles qui, ensemble, formaient un vacarme, se fit entendre, mais il reprit aussitôt. Le silence fut, de lui-même, appelé et respecté. Il est maintenant l'heure. Le mot fit écho dans tous les cœurs.  Le Soleil, la Lune, la Mer et la Terre nous bénissent de leur munificence. C'est donc avec un grand honneur, une immense fierté, une très profonde solennité, que je vous annonce officiellement le lancement de l'opération Buster Drill...

Un frémissement parcourut tout le G-0. La guerre était ouverte, définitivement, et il n'y avait pas de marche arrière possible. Dans un dispersement soudain, toutes les unités allèrent s'affairer pour reprendre leurs navires et se préparer à leur mission. Le monde voulait cet affrontement, et tous les éléments se mouvaient vers le choc.

Seulement une heure avant le combat, seulement une heure avant que l'Histoire ne change. Le temps, comme un flux, se resserrait. Tic. Tac. Tic. Tac. Tic...

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